Coordonner l’éducation thérapeutique du patient

dimanche 1er décembre 2002, par Jean-Marc Carolle

Programme Régional de Santé de Picardie - Maladies Cardio-Vasculaires.

Assemblée Générale de la Coordination des pôles de prévention et d’éducation PERONNE 11/2002

Introduction

Du Programme Régional de Santé de Picardie ciblant les maladies cardio-vasculaires a émergé le concept de pôle de prévention et d’éducation pour chaque secteur sanitaire. En 2001, j’ai présenté le rôle d’un cadre de santé dans un de ces pôles de prévention [1].

PDF - 177.1 ko
Cadre de Sant ? dans un P ?le de Pr ?vention

Après deux ans de pratique et la clarification du concept de l’éducation thérapeutique du patient, la nécessité de COORDONNER cette éducation est apparue.

Partant du contexte de l’éducation thérapeutique du patient en France puis de la situation chez nous en Picardie, j’en suis arrivé à proposer un exemple de coordination hospitalière au groupe de travail. D’un rôle de cadre dans un pôle de prévention et d’éducation, je me suis orienté vers un poste de coordonnateur.

Ce sera donc le fil conducteur de cet exposé qui s’achèvera par cinq réflexions avant de conclure, des phrases clés qui ont marqué mes recherches.

Le contexte de l’éducation thérapeutique du patient en France

Les recommandations de l’ANAES [2] pour la pratique clinique en éducation thérapeutique du patient asthmatique reconnaissent l’intérêt et l’efficacité démontrée (hospitalisation, recours au service d’urgences, consultations non programmées) de cette pratique de soins. Elles précisent que structurée, l’éducation thérapeutique est plus efficace que l’information seule : « elle comporte au minimum un apprentissage à l’autogestion du traitement par le patient et un suivi régulier… »

- L’éducation thérapeutique peut être « proposée en consultation, lors d’une hospitalisation ou dans le cadre d’un centre spécifique ou un réseau de soins. Elle relève d’une approche interdisciplinaire et pluri professionnelle…

- L’accompagnement psychosocial agit en renforcement de l’éducation thérapeutique, en encourageant le patient… à adopter des comportements positifs ».

- La mise en œuvre de l’éducation thérapeutique nécessite l’utilisation de techniques pédagogiques favorisant l’interactivité ; Ces techniques pédagogiques variées facilitent l’acquisition par le patient des compétences en renforçant sa motivation.

- La planification des activités éducatives doit prendre en compte un principe de progressivité, plusieurs séances éducatives peuvent être nécessaires à l’acquisition d’une compétence. Chaque compétence sera transférée par le patient dans sa vie quotidienne.

- Une évaluation de la qualité du programme éducatif dans son ensemble doit compléter
l’évaluation individuelle. Centrée sur les compétences, la capacité d’action du patient et de son état de santé, elle mesure de ses effets et conséquences en termes de morbidité, de mortalité, conséquences psychosociales, qualité de vie et satisfaction des patients. Ces mesures permettent de comprendre la manière dont est appliqué, compris, accepté et vécu le programme éducatif.

L’éducation thérapeutique du patient doit donc être envisagée à plusieurs niveaux : le patient, son entourage (la famille), les services ou réseaux de soins, et les institutions.

Chez nous en Picardie

- La prise en charge éducative de la personne soignée et de son environnement est en pleine progression. Le nombre croissant de soignants en formation ou formés montre une réelle motivation à répondre aux besoins des malades chroniques.
Diagnostic éducatif, consultation individuelle d’éducation, atelier, groupes d’expressions….sont des mots qui font partie de nos réalités quotidiennes.

- Le niveau institutionnel nous est familier : nous connaissons l’histoire du PRS cardiovasculaire, l’existence des pôles de prévention et d’éducation et l’importance de la coordination des PRS maladies cardiovasculaires. L’ARH, la DRASS, la CRAM, l’ORS, le CRES sont des partenaires avec le CHU du niveau institutionnel régional.

Mais qui coordonne à l’échelle locale l’éducation thérapeutique ?

- Dans les services ou réseaux de soins,

« Qui va garantir le processus d’intégration des programmes éducatifs dans l’accomplissement des soins et dans le fonctionnement de l’hôpital » se demandait déjà Carl Jadot dans le BEP [3]… il y a huit ans !!!

Actuellement pour chacun d’entre nous, qu’en est-il de la démarche éducative auprès du patient ?

En ville, il existe des projets de réseau de soins pour coordonner l’éducation thérapeutique Des financements FAQSV permettent au secteur libéral d’organiser la prise en charge des porteurs de maladies chroniques.

L’hôpital de secteur, héberge le pôle de prévention et d’éducation, met à disposition du personnel. Il reçoit pour cela une enveloppe spécifique.
Dans les pôles de prévention et d’éducation des secteurs sanitaires (structures reconnues éducatives), se réalise une approche interdisciplinaire et pluri professionnelle.

- Est-ce suffisant aujourd’hui ?

L’organisation de l’éducation thérapeutique locale ne repose-t-elle pas dans la plupart des cas sur des projets propres à une unité ou à une spécialité médicale fortement liés à l’existence d’une personne motrice ?
Un travail d’articulation de cette approche interdisciplinaire et pluri professionnelle ne serait-il pas utile ? Ce travail nécessiterait à la fois une prise de distance par rapport aux activités quotidiennes tout en nécessitant une connaissance suffisante de celles-ci.

Un modèle organisationnel qui n’est pas sans rappeler l’organisation de l’hygiène hospitalière peut être proposé après une revue de littérature réalisée avec l’aide du CERFEP [4] :

Une proposition de coordination hospitalière

- Elle peut être composée :

d’un comité hospitalier d’éducation du patient : organe décisionnel composé de la direction et de représentants administratifs, médicaux, paramédicaux), intégré dans l’organigramme, (c’est-à-dire avec rôle défini et soutien de la Direction) ;

d’un département spécifique et autonome en éducation thérapeutique avec un chef de service, un encadrement paramédical et une équipe pluri professionnelle (avec le désavantage d’un manque fréquent d’interdisciplinarité)

un coordonnateur ou coordinateur sous la responsabilité du directeur des soins de l’hôpital avec un rôle transversal en développement de l’éducation thérapeutique (en 1987, 60% des hôpitaux américains avaient désigné une personne avec mission de coordination de l’éducation thérapeutique du patient [5])

un comité consultatif pluridisciplinaire lieu d’échange de savoir et d’expériences proposant une mise en place efficiente des actions dans le domaine de l’éducation thérapeutique du patient

Cette organisation peut s’élargir par la suite à l’inter hospitalier et pour gagner la cohérence médico-sociale de l’éducation thérapeutique, nous pouvons imaginer un comité interinstitutionnel d’éducation thérapeutique du patient [6]

- Pour les services de soins, un coordonnateur ou coordinateur [7] :

Plutôt que coordinateur « mettre en ordre », les spécialistes préfèrent le terme de coordonnateur qui est investi, selon le Petit Robert, « d’une charge dans l’agencement des éléments d’un ensemble selon un plan logique, pour une fin déterminée ».

- Une histoire de concepts :

Un coordinateur, il agira sur les activités en facilitant, organisant, et promouvant les actions avec les équipes. Il ouvrira sur une pluralité des intervenants, des méthodes, des contenus, des objectifs,…Il permettra ainsi que les actions prennent sens.

Un coordonnateur, « c’est au travers de l’agencement des actes des autres que sa fonction prend forme et signification ». Il lui faudra « créer un espace au sein du système institutionnel pour que l’éducation du patient puisse prendre forme et sens tout en permettant que cet espace soit occupé par ceux qui seront amenés à agir dans ce nouveau champ. »
Autrement dit, il répondra à la problématique d’« ouvrir ce champ sans trop le définir pour que chaque professionnel de santé trouve sa place dans ce nouveau processus d’action ». Il favorisera la cohérence globale des actions mises en place.

- Qui peut-il être ?

Pour les auteurs, le coordinateur peut être un paramédical ou une toute autre personne avec une expérience professionnelle d’encadrement en service d’hospitalisation, une expérience pédagogique et un état d’esprit « santé publique » (ouvert à la santé des populations).
Certains font remarquer que la culture et l’expérience soignante, bénéfique à un tel poste, orienteront le choix parmi les cadres de santé.
Un temps plein sera nécessaire à la réalisation de son activité.

- Quelle peut-être son activité ?

Présent au comité hospitalier d’éducation du patient (rôle consultatif ?).

Au comité consultatif pluridisciplinaire, il assurera l’animation et le travail administratif des réunions.
« Il sera un des garants du processus d’intégration des programmes éducatifs dans l’accomplissement des soins et le fonctionnement de l’hôpital »

Dans le département spécifique et autonome en éducation thérapeutique et dans les autres services,
1) Gestionnaire de projet : animateur, accompagnateur, il aidera à l’élaboration d’outils éducatifs
2) Programmateur de formations, il sensibilisera les équipes à l’éducation du patient et organisera (participera à) la formation du personnel à l’éducation thérapeutique

Dans les groupes de travail thématiques des équipes pluri disciplinaires, il réunit et gère les équipes afin d’analyser les situations et d’élaborer les stratégies [8] . (N.B. : dans ce type de travail, les ressources disponibles en compétences sont plus importantes donc les productions plus riches en général !)

Pour résumer, le coordonnateur aura un travail de configuration, de support, de redéfinition permanente des actions et des projets en éducation thérapeutique du patient. C’est un rôle tout en finesse qui exige motivation, tact, médiation, mais aussi fermeté… [9] avec bien sur des compétences :

- Capacités et domaine de compétences [10] :

Etre capable de définir une nouvelle fonction, créer son propre espace dans l’institution, avoir une « REconnaissance sera la première des capacités à développer. C’est-à-dire construire sa légitimité aux yeux des autres professionnels de santé !!

Mais il faudra aussi être capable de :

•Se confronter à l’incertitude,

•Définir une fonction d’interface professionnelle, de médiation,

•Se responsabiliser en tant qu’acteur de développement de l’éducation thérapeutique du patient,

•Etre l’initiateur de nouvelles expériences, d’un processus de changement, en offrant les moyens suffisants,

•Inscrire ce processus de développement dans le projet de soins cohérent de l’établissement,

•Evaluer les effets de l’éducation thérapeutique du patient,

•Aider aux projets en éducation thérapeutique du patient,

•Mobiliser les compétences du soignant en éducation thérapeutique du patient,

Des compétences seront à rechercher dans la négociation, la formation, la planification, l’organisation, l’évaluation, la structuration et la médiation. Des capacités relationnelles seront également requises.

« Grâce à l’inter professionnalisme, la diversité devient source d’enrichissement et de perfectionnement » [11] permanent pour le coordonnateur.

5 réflexions avant conclusion

- L’exemple du diabète de type 2 montre bien que la crise de la médecine affecte surtout les maladies chroniques ! [12]

- Avant les soins étaient compliqués mais reproductibles, vérifiables. Aujourd’hui, au XXIème siècle, ils sont complexes, nuancés, en mouvement permanent et NON REPRODUCTIBLES :
« Les recettes n’existent plus là où il y a de l’humain. »

- Eduquer n’est pas fabriquer des adultes selon un modèle, c’est libérer en chaque homme ce qui l’empêche d’être soi, lui permettre de s’accomplir selon son « génie singulier » [13]

C’est reconnaître notre semblable comme sujet parlant et non comme objet de soins.

- « Les valeurs sont des repères par rapport auxquels il importe sans cesse de remettre à l’heure notre horloge politique, collective et personnelle. Sommes-nous du côté d’une morale utilitaire ou d’une morale de l’altérité ? » [14]

Elles supposent que nos actes soient référés à notre éthique, elles nous engagent,

- Consensus - Dissensus [15]
Parlez donc de réseau dans vos institutions et chacun opinera du chef pour marquer sa position consensuelle. Le consensus, rien de tel pour ne surtout pas poser les bonnes questions et ne pas creuser ce dont il s’agit vraiment.
Paul RICOEUR, dans son témoignage au procès du sang contaminé, rappelait combien nous devrions plutôt choisir
la culture du dissensus, c’est à dire celle de la confrontation des points de vue et de l’affrontement des idées, pour énoncer ensuite des choix qui ne laissent pas prise au malentendu.

Cette démarche suppose la culture de l’échange et non de la communication. L’échange suppose la rencontre et la reconnaissance de l’autre comme personne. C’est dans cette ligne que doit s’inscrire la Charte des Réseaux.

Conclusion

Le soin éducatif a son fondement auprès du patient, mais il n’a pu exister sans un accompagnement régional. Le travail des équipes interdisciplinaires et pluri professionnelles avec le malade chronique sera rendu efficient par l’aide à l’articulation d’un coordonnateur.

Pour terminer, rappelons nous le… « nouveau principe d’Archimède » :

« Toute idée neuve introduite dans une hiérarchie reçoit, de tous cotés, une pression qui l’étouffe égale au poids de l’inertie dérangée. » [16]

PDF - 127.6 ko
Coordonner l’ ?ducation th ?rapeutique du patient Noir et Blanc
PDF - 191.5 ko
Coordonner l’ ?ducation th ?rapeutique du patient couleur

[1JM CAROLLE, Cadre de santé dans un pôle de prévention : un luxe ou une nécessité, in : Résumés, APAIS 2001 1er Colloque des Programmes locaux et régionaux de santé, un nouveau paradigme pour la santé publique ; 2001 oct 23-26 ;Amiens, France ; p. 132

[2www.anaes.fr--Recommandations pour la pratique clinique Education thérapeutique du patient asthmatique adulte ou adolescent

[3Bulletin d’Education du Patient revue belge, la seule de langue française - volume 13 de mars 1994 p.15

[4Centre Régional de ressources et de Formation à l’Education du Patient des Régions Nord - Pas de Calais et Picardie : cerfeppnp@cram-nordpicardie.fr

[5G VILAIN, Quelques réflexions sur la coordination en Education du Patient, BEP 3/94, Centre d’Education du Patient, pp 71-72

[6J-L COLLIGON, Le Comité Interinstitutionnel d’Education pour la Santé du Patient, BEP 2/99, Centre d’Education du Patient, pp 56-57

[7C RENARD, Etre coordonnateur en Education du patient : une fonction qui ne s’improvise pas ! BEP 1/94, Centre d’Education du Patient, pp 9-11

[8C JADOT, L’association des infirmiers en Education du Patient, BEP 1/94, Centre d’Education du Patient, pp12-15

[9C RUAULT, Mise en place d’un dispositif « éducation du patient » au sein d’un réseau expérimental, mémoire de DESS formations en santé Université PARIS NORD Léonard de Vinci, 23/09/99 p. 75

[10C RENARD, Etre coordonnateur en Education du patient : une fonction qui ne s’improvise pas ! BEP 1/94, Centre d’Education du Patient, pp 9-11

[11ibid

[12D’après la conférence de presse organisée à la veille de la « Journée d’Actualité en Diabétologie », le 18 octobre à Paris ; avec la participation du Pr André Grimaldi (Paris), du Dr Eveline Eschwège (Villejuif) et du Dr Marie-Eve Boutin Tranchant (Laboratoire GSK) www.egora.fr

[13C RUAULT, Mise en place d’un dispositif « éducation du patient » au sein d’un réseau expérimental, mémoire de DESS formations en santé Université PARIS NORD Léonard de Vinci, 23/09/99 p. 75

[14Charlotte HERFRAY, La psychanalyse hors les murs.

[15UNE CHARTE, POUR QUOI FAIRE ?Allocution de Françoise DAVID, psychologue clinicienne, Réseau AFPRA 68,membre du conseil d¹administration de la CNR 3ème Congrès des Réseaux (Paris, 2001)

[16Mr Pierre MONTAGNE 24/09/99 journée des réseaux Chauny (02)


Partager cet article

Vous recrutez ?

Publiez vos annonces, et consultez la cvthèque du site EMPLOI Soignant : des milliers de profils de soignants partout en France.

En savoir plus