La liberté d’être en bonne Santé dans un contexte mondialisé et interconnecté

jeudi 12 janvier 2023, par Bruno Benque

La récente pandémie de COVID-19, comme celle du VIH en son temps, ont fait resurgir les questions autour du droit aux médicaments pour les populations dans leur ensemble. Le Docteur en Droit Sridar Venkatapuram, dans une approche plus philosophique, parle plutôt d’un droit moral à être en bonne Santé. Il évoque même une forme de liberté d’être en bonne Santé dans un contexte mondialisé et interconnecté. Explications...

Dans le langage contemporain, les notions d’équité en Santé ou d’égalité d’accès à la Santé reviennent souvent pour étayer les dispositions législatives qui mettent en œuvre les réformes sanitaires ou pour analyser les parcours de soins. Il est cependant assez rare de rencontrer le terme de Droit à la Santé dans le discours commun.

Une approche philosophique du Droit à la Santé des populations

Le Droit à la Santé fait pourtant partie des textes émanant de la Constitution de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), qui établit que « la possession du meilleur état de santé qu’il est capable d’atteindre constitue l’un des droits fondamentaux de tout être humain » et que le droit à la santé comprend l’accès, en temps utile, à des soins de santé acceptables, d’une qualité satisfaisante et d’un coût abordable. Une fois ce constat posé, comment le situer dans l’environnement actuel qui vient de connaître une période sombre de crise sanitaire où les populations n’ont pas été logées à la même enseigne, en termes de prise en charge, contre la pandémie de COVID-19 ? C’est en partant du concept d’inégalité d’accès aux médicaments, et plus largement à la Santé, que Sridar Venkatapuram, Docteur en Droit au King’s College de Londres (UK), traite de ce sujet dans un article publié dans le Journal du Droit et de la Santé et de l’Assurance Maladie (JDSAM).

Deux époques, deux manières de traiter les effets d’une pandémie mondiale

Il y fait un parallèle entre la gestion de deux épidémies survenues dans un passé récent, à savoir le COVID-19, donc, et le VIH. Il note que, contrairement à l’époque du VIH, où la plupart des gouvernements ont tout d’abord ignoré la propagation du virus dans leur pays ou ont pensé qu’il s’agissait d’un problème qui n’affectait qu’un petit groupe de personnes, les dirigeants actuels les plus riches « ont agi de manière à porter directement atteinte à l’accès aux médicaments et, plus généralement, au droit humain à la santé de milliards de personnes dans le monde ». Une fois qu’ils ont compris l’ampleur du désastre VIH, ils ont fait en sorte que des médicaments au prix abordable soit distribués dans toutes les contrées, même les plus pauvres. Dans la lutte contre le COVID, les gouvernements les plus riches du monde ont, au contraire, produit ce que l’auteur qualifie d’« apartheid vaccinal », en intervenant sur la production de l’industrie pharmaceutique pour leur propre population en priorité.

Identifier les biens moralement importants liés aux soins de Santé

« Dans ce contexte, poser la question pendant une pandémie en cours de savoir s’il existe un droit aux médicaments semble étrange du point de vue de la philosophie », remarque Sridar Venkatapuram. Car cet exemple est caractéristique de l’inégalité d’accès aux moyens d’accéder à la Santé, aux médicaments, mais aussi aux diagnostics et aux appareillages qui sont importants dans la prévention et les parcours de soins. Ainsi, l’accent mis sur les médicaments et le droit aux médicaments, dans le contexte d’une pandémie mondiale ainsi qu’en période de non-pandémie, semble restreindre significativement le champ de l’étude et si nous nous évoquons l’équité en Santé et la justice en Santé, nous devons élargir le débat.

L’auteur parle ici plutôt d’un « droit moral » aux médicaments par opposition aux droits légaux, selon une approche philosophique étayée notamment par des théories éthiques ou de justice sociale. Elles décrivent des biens moralement importants, parmi lesquels des services publics, des ressources, des libertés, des besoins de base, etc., liés aux soins de Santé.

La liberté d’être en bonne santé dans un contexte mondialisé et interconnecté

Il traite ensuite du droit de chacun à la capacité d’être en bonne santé comme une forme de liberté, la liberté de fonctionner physiquement et mentalement, ou plus largement, les capacités de mener une vie décente. « C’est dans cette perspective que les gens auraient un droit moral aux médicaments, aux soins de santé, à la protection sociale contre une menace pandémique et à des conditions de soutien plus larges pour être en bonne santé », précise-t-il.

Il enrichit son propos ensuite en évoquant tout d’abord la mondialisation, qui entraîne, comme nous l’avons vu plus haut, les pays riches à être acteurs d’un système de gouvernance mondiale qui est conçu pour leur être largement bénéfique, au détriment des pays pauvres. À cet égard, il propose une conception d’un droit moral à la santé, ou de la liberté de la santé, comme quelque chose que chaque individu possède, qui « est mieux adaptée à cette histoire et à l’état actuel de la gouvernance mondiale, qu’une théorie de la justice sociale qui ne considère la justice que comme quelque chose de pertinent au sein de sa propre société, comme dans le cadre d’un contrat social ».

Il met enfin en garde, dans un monde interconnecté et globalisé, contre une approche fondée sur le droit aux médicaments, qui réduit l’attention du public aux individus et aux médicaments dont ils ont besoin à un moment donné, lui préférant ce qu’il appelle « un droit aux capacités de santé qui met en perspective les divers déterminants, du local au mondial, qui affectent la santé d’individus, de communautés et de sociétés particuliers ». Il cible là les menaces persistantes d’autres épidémies et pandémies, la résistance croissante aux antibiotiques, la croissance des maladies non transmissibles et autres dommages sanitaires dus au réchauffement climatique.

Sridar Venkatapuram
MSc MPhil PhD FRSA Hon FFPH, King’s College London, Associate Professor, Global Health & Philosophy, Deputy Director, King’s Global Health Institute
A philosophical perspective on « Is access to medicines a right ?”
Journal du Droit et de la Santé et de l’Assurance Maladie (JDSAM) N°35-2022

Bruno Benque
Rédacteur en chef www.cadredesante.com
bruno.benque@gpsante.fr
@bbenk34.


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