lundi 15 mai 2023, par
La littérature soignante est riche mais dispersée. Notre collègue Christine Paillard, qui est désormais lexicographe, a créé il y a dix ans, pour tenter de centraliser cette production, le DOCOSI, Dictionnaire des Concepts en Sciences Infirmières. Dans une interview, elle relate la genèse de cet ouvrage et présente les nombreuses entrées documentaires qu’il comporte et qui sont mises à jour régulièrement pour aider les étudiants infirmiers dans l’élaboration de leurs travaux de fin d’étude, pour analyser les pratiques ou pour le service sanitaire.
Pourquoi avoir créé un DIctionnaire des COncepts en Sciences Infirmières (DICOSI) ?
Christine Paillard : Le DICOSI répond à un besoin documentaire. Il y a 15 ans, les étudiant-es en soins infirmiers me demandaient des documents sur la notion de relation soignant-soigné. La littérature était dispersée et nous n’avions pas beaucoup de ressources électroniques. Il fallait faire le tour des bibliothèques pour trouver des articles afin d’évoquer l’aspect psychosocial des interventions infirmières et de valider les Mémoires de Fin d’Études (MFE). J’ai combiné une formation universitaire en pratiquant la lexicographie sur mon lieu de travail. L’idée étant de réunir une documentation pertinente.
Quelle est la méthode pour réaliser un tel dictionnaire ?
C.P. : Il y a plusieurs options. Je conserve la gestion alphabétique des entrées, c’est un repère. Je définis des termes liés aux pratiques soignantes. J’intègre régulièrement des néologismes, comme « Cisgenre » parce que les étudiant-es cherchent à comprendre certaines locutions. Il est important de contextualiser ces expressions dans le champ interdisciplinaire des sciences infirmières. Il s’agit de créer une nomenclature visant à la hiérarchisation des entrées et « à y faire correspondre des articles organisés selon de multiples choix possibles avec une organisation cohérente (Pruvost, 2021) ». Enfin, toutes les définitions sont enrichies avec des propositions bibliographiques.
Quelles sont les conditions pour rédiger une définition ?
C.P. : Pour le DICOSI, bien sûr, il convient d’être expert dans son domaine. Les différents auteurs sont aussi bienveillants… Pour mes propres définitions, il y a systématiquement une investigation et une recension documentaire. L’idée est de regarder les diverses facettes d’un mot utilisé dans plusieurs disciplines afin de le contextualiser dans les pratiques soignantes. J’ai par exemple rédigé l’entrée « Deuil parental ». Lexicographe, j’observe l’histoire et la fonction d’un terme dans son usage linguistique, théorique et professionnel.
Ce sont les étudiants qui déterminent les termes utilisés dans le DICOSI ?
C.P. : À 90 % oui ! Pour fêter les dix ans et à la suite d’un atelier Coaching, j’ai demandé à une jeune étudiante, Capucine Lefèvre, de rédiger l’entrée liée à son MFE, le« Deuil interdit », à partir d’une expérience vécue lors de la crise sanitaire liée au Covid. Il est important d’accompagner les étudiant.es à rédiger en situation professionnelle, à se préparer au Master IPA, et pourquoi pas, viser un doctorat…
Dans quelle mesure les étudiants utilisent-ils le DICOSI ?
C.P. : Il est très utilisé dans les CDI, à la Cité de la Santé… Je n’ai pas vraiment de statistiques, mais j’ai souvent des retours positifs des collègues documentalistes. Le DICOSI est présent dans les Bibliothèques universitaires en santé. Depuis 2013, 15 000 exemplaires ont été vendus…
A chaque édition, vous demandez à des collaborateur-trices de rédiger des définitions, quelles sont les nouvelles personnes accueillies ?
C.P. : J’ai demandé à Marie Pezé (psychologue à l’origine des consultations de souffrance au travail) de rédiger des articles sur le Burn-Out et le Harcèlement (Moral Collectif, Individuel), à Marie-Rose Moro (Pedopsyhiatre, directrice de la revue transculturelle L’autre) de définir la Tranculturalité, à Dominique Friard (Infirmier en psychiatrie, responsable de la collection Santé mentale chez Seli Arslan, Co rédacteur en chef de la revue Santé mentale) de rédiger les Écrits professionnels, à Benjamin Villeneuve (Infirmier, Formateur consultant (GRIEPS) et Chercheur à l’Université de Montpellier) d’écrire sur l’Infirmier.ière en psychiatrie, à Vilna Nyeck (Cadre de santé- formatrice, Ifsi sainte Anne) d’élaborer l’entrée Patient Partenaire, et enfin, à Emmanuelle Cartron (Maîtresse de conférence Université Paris Cité, rédactrice en chef de la revue Recherche en Soins Infirmiers) pour rédiger l’entrée Sciences infirmières. J’ai conservé la préface de Marielle Boissart car elle représente bien la perspective historique interdisciplinaire de ce travail produit depuis 10 ans.
Quelles sont les autres nouveautés de cette 6e édition ?
C.P. : Michel Nadot (Professeur d’histoire et d’épistémologie en sciences infirmières) a proposé de rédiger la définition et l’histoire du Garde-Malade, ce qui est une très bonne idée ! J’ai également construit des entrées autour du genre (Cisgenre, Transgenre, Personne non binaire), les entrées reliées au Cyber (Cyberharcèlement, Cybersécurité, Cyberpsychologie). Il y a aussi le Consentement, les Compétences numériques en santé et enfin la Violence faite à l’égard des femmes qui comporte deux aspects : les femmes dans un contexte social et celles qui subissent des violences à l’hôpital.
Cette dernière édition serait-elle militante ?
C.P. : Le DICOSI est avant tout construit à partir d’une littérature scientifique, académique, professionnelle. Les sujets traités ne sont pas toujours joyeux, mais il convient toutefois de se les approprier pour comprendre les personnes, mettre des mots sur des situations. Les étudiants utilisent aussi le DICOSI pour les Analyses de Pratiques Professionnelles et pour le Service sanitaire. Ainsi, ils peuvent développer des concepts à partir de toutes ces définitions…
Ce dictionnaire n’arrête pas d’être enrichi au fil des années, en verra-t-on la fin ?
C.P. : Tant que mes neurones fonctionneront, j’actualiserais le DICOSI.
Christine Paillard
Docteure en sciences du langage (Propos recueillis par Nathalie Sternberg)
Lexicographe chez Setes éditions