Entretien d’embauche : comment le bruit conditionne nos jugements

Sommes-nous toujours efficaces lorsque nous réalisons les entretiens d’embauche de nos futurs collaborateurs ? Un ouvrage réalisé par Daniel Kahneman nous incite de baser notre stratégie de recrutement en sur des entretiens structurés et singuliers, en lieu et place de discussions faisant largement appel à l’intuition et réalisés à plusieurs. Il recommande même de rendre ces processus d’entretiens mesurables afin de gagner en efficacité.

Les problèmes de pénurie de soignants que nous observons depuis quelques années, à l’hôpital, en structure d’hébergement ou en ville, sont dus à toutes sortes de paramètres qui tournent autour de la pénibilité, de l’attractivité, de la rémunération, voire au manque de perspectives. Mais nos pratiques de recrutement sont-elles cohérentes ?

L’entretien d’embauche, une pratique très interviewer dépendante

Nous touchons là un point qui est rarement traité par les observateurs spécialisés. Nous n’aborderons pas ici le domaine des Ressources Humaines proprement dit, qui a ses codes et ses motivations spécifiques. Mais nous nous sommes intéressés à l’entretien d’embauche, qui fait partie de nos prérogatives et est sans doute une étape essentielle dans le processus établi par une institution pour convaincre les candidats de répondre favorablement à une offre d’emploi. Nous avons l’habitude de mettre en avant, dans ce contexte, les avantages d’exercer dans l’établissement, de l’ambiance générale de la structure aux spécialités médicales qui y sont traitées, en passant par l’activité du Comité social et économique (CSE) ou les pratiques innovantes habituellement exercées dans le service auquel les postulants seront affectés.

Un ouvrage que peut nous faire progresser dans ce domaine

Mais le message passe-t-il toujours bien ? Avez-vous mis toutes les chances de votre côté pour que votre interlocuteur en reçoive le sens précis sans que vous ne soyez obligé de compléter ou reformuler ? Daniel Kahneman, Prix Nobel d’économie en 2002 pour ses travaux sur la psychologie appliquée à l’entretien et à la prise de décision, peut vous aider à évaluer la pertinence de votre discours et à améliorer vos entretiens d’embauche. Dans l’ouvrage « Noise : Pourquoi nous faisons des erreurs de jugement et comment les éviter » co-écrit avec Olivier Sibony et Cass Sunstein, il traite du « bruit » dans le jugement et la prise de décision et a parmi ses objets d’étude l’entretien traditionnel d’embauche.

Mieux structurer l’entretien pour plus d’efficacité

Pour Daniel Kahneman, les entretiens non structurés, qui sont réalisés la plupart du temps, créent du bruit et des préjugés car les cadres qui les mènent s’appuient sur leur intuition, qui est forcément conditionnée par leur caractère, leurs opinions ou leur forme du moment. La préparation de cet entretien est donc primordiale. Elle doit définir avec précision les critères qui, d’une part, permettront de bien évaluer les motivations et les compétences du candidat, mais également qui seront à même de les convaincre de rejoindre l’institution. Le cadre doit donc être formé à cette pratique et s’appuyer sur un processus structuré. D’autre part, l’entretien mené par plusieurs personnes peut être également source de bruit au cours des échanges.

Un colloque singulier pour un processus aux critères mesurables

L’ouvrage de Daniel Kahneman montre comment, par exemple, l’entreprise Google a réduit le nombre d’interviewers de vingt-cinq à quatre pour gagner en efficacité dans ce cadre. Les avantages des stratégies d’entretien structuré sont également chiffrés, ses travaux ayant objectivé une probabilité plus élevée (65-69%) de sélectionner un meilleur candidat à partir d’entretiens structurés qu’aux moyens d’échanges non structurés et très sensibles aux bruits (56-61%). Dans ce domaine aussi, il faut bien s’y résoudre, il sera nécessaire de créer des processus mesurables afin de mettre toutes les chances de notre côté pour nos stratégies de recrutement.

Ce n’est peut-être qu’une partie infime des actions à entreprendre pour limiter la crise des ressources humaines que connaît le système de Santé, mais nous devons y prêter attention et faire en sorte de mieux structurer nos entretiens d’embauche. Un bon professionnel exerçant au bon endroit au bon moment aura moins de velléités à aller voir si l’herbe est plus verte ailleurs. C’est la raison pour laquelle nous devons réduire le bruit que notre environnement crée pour identifier les atouts de ce professionnel...

Bruno Benque
Rédacteur en chef www.cadredesante.com
bruno.benque@gpsante.fr
@bbenk34.