La Biologie Médicale à la croisée des chemins

mardi 25 octobre 2022, par Bruno Benque

La Biologie Médicale fait face, ces dernières années, à des évolutions qui met à mal l’indépendance des biologistes et réduit l’attractivité de cette spécialité. Un Rapport commun des académies nationales de Médecine et de Pharmacie exposent avec précision l’étendue des dégâts, en ciblant notamment la pénurie médicale et paramédicale que connaît la spécialité et les nombreux progrès technologiques qui la déstabilisent. Des recommandations sont émises dans ce rapport, mais n’est-ce pas déjà trop tard ?

Parmi les spécialités médicales les plus touchées par la conjoncture, la Biologie Médicale se trouve aujourd’hui dans le peloton de tête. Et c’est pour sensibiliser les tutelles à ces problèmes que l’Académie nationale de Médecine et l’Académie nationale de Pharmacie ont rédigé un Rapport dans lequel elles synthétisent les problèmes auxquels les acteurs de cette spécialité ont à faire face et tentent de trouver des solutions.

Une spécialité à la croisée des chemins

Depuis quelques années en effet, elle est confrontée à des problèmes de financiarisation et d’industrialisation, de diminution des échanges avec les patients, de désaffection des jeunes médecins et pharmaciens et de diminution du nombre de Biologistes Médicaux hospitalo-universitaires en charge de la formation de la future génération. Les auteurs de ce Rapport ciblent notamment les enjeux de l’adaptation de la spécialité à l’évolution rapide des connaissances scientifiques, des progrès technologiques, ainsi que de l’apparition de l’intelligence artificielle et du Big Data. Ils appellent à la vigilance devant l’accélération du numérique en santé accompagnée de nombreuses applications « Santé », de l’utilisation des données de l’open data, des algorithmes et des outils de l’intelligence artificielle (IA) notamment.

La financiarisation de la Biologie Médicale, un problème majeur pour son indépendance

Le problème majeur de la Biologie médicale aujourd’hui est sans doute ce que l’on appelle sa financiarisation. En 2001, la loi MURCEF a été à l’origine de profondes modifications en autorisant les biologistes n’appartenant pas à une Société d’Exercice Libéral (SEL) d’en devenir majoritaires dans le capital, mais aussi en créant des Sociétés de Participations Financières de profession libérale (SPFPL). Cette Loi a créé une brèche au travers de laquelle des groupes financiers et des fonds de pension ont commencé à investir dans les Laboratoires en utilisant des sociétés qu’ils détenaient à l’étranger pour racheter des parts et devenir majoritaires. Les biologistes libéraux qui entrent dans ce système ne sont dès loirs plus maîtres de leur activité et doivent rendre des comptes aux sociétés financières qui doivent rémunérer leurs actionnaires.

Les biologistes s’unissent pour faire front

Pour contrer ce système, le réseau « Les Biologistes Indépendants » (LBI), qui détiennent 100% de leurs laboratoires et qui constitue le plus grand groupement de biologistes libéraux, a été créé en 2016, prônant la liberté, l’humanité, la proximité, la performance et l’innovation. Il n’empêche que cette évolution a entraîné une chute vertigineuse du nombre de laboratoires, passant de 4 000 en 2010 à 400 aujourd’hui. Dans le secteur public également, les Groupements Hospitaliers de Territoire (GHT) ont contraint les laboratoires des différents hôpitaux à mutualiser leurs activités au sein d’un seul laboratoire. Les effectifs enregistrent ainsi une baisse régulière, le Rapport l’estimant à 15% depuis 2008.

Une spécialité qui manque cruellement d’attractivité

Cette inflexion est accompagnée d’une désaffection de la spécialité par les jeunes médecins. L’Académie de Médecine a enregistré en effet, en 2021, la Biologie Médicale comme le 8932ème choix du dernier interne, le rang moyen étant évalué à la 8046ème place sur 9032 classés. La Biologie Médicale se trouve désormais au 43ème rang sur 44 spécialités possibles, le choix se faisant souvent par défaut et aboutissant à un recours plus fréquent au droit au remords. Ce manque d’attractivité est imputé, dans le Rapport, à la financiarisation à outrance évoquée plus haut, qui conduit à un travail dont l’intérêt est de plus en plus réduit, une indépendance factice et des contraintes de certification maximales.

La carrière et le statut des techniciens doivent s’adapter à l’évolution du métier

Sur le plan paramédical, le constat n’est guère plus reluisant avec, depuis plusieurs années, une perte d’attractivité́ de la profession de technicien de laboratoire. Les possibilités d’évolution au cours de la carrière sont très limitées. Alors que la technologie ne cesse d’évoluer et que les compétences demandées aux techniciens sont plus élaborées, leur niveau de carrière ou leur statut n’est plus adapté. Le Rapport souligne l’effort consenti par les biologistes et les syndicats dont toutes les demandes d’évolution de ce statut, formulées durant des années, n’ont pas obtenu de réponse de la part des tutelles. Devant le problème majeur de leur pénurie, le ministère a mis en place en 2021 un groupe de travail relatif à la réingénierie de leur formation pour l’instauration d’un statut en pratique avancée notamment.

Des recommandations qui arrivent peut-être trop tard

Une fois les constats exposés, le Rapport des deux Académies émet quelques recommandations qui touchent bien entendu à l’indépendance du Biologiste Médical dans son exercice professionnel et à sa pleine contribution au parcours de soins du patient. Elles ajoutent que la Biologie Médicale ne doit pas être une activité commerciale de services et doit redevenir une activité médicale attractive pour la nouvelle génération, avec une formation initiale et continue participant de l’accroissement de l’attractivité́ et de l’adaptation à l’évolution des technologies. Elles appellent à une préparation de l’avenir par une anticipation des départs massifs prochains à la retraite des Biologistes Médicaux ainsi qu’à la mise en place d’une politique d’attractivité́ du métier de Biologiste Médical.
Mais n’est-ce pas trop tard ?...

Bruno Benque
Rédacteur en chef www.cadredesante.com
bruno.benque@cadredesante.com
@bbenk34.


Partager cet article

Vous recrutez ?

Publiez vos annonces, et consultez la cvthèque du site EMPLOI Soignant : des milliers de profils de soignants partout en France.

En savoir plus