Gentille infirmière, es-tu reconnue à ta juste valeur au regard de ton histoire ?

jeudi 12 mai 2022, par Raymond Monjole

Alors que, comme l’ensemble des professions paramédicale, le métier infirmier souffre d’un manque de reconnaissance, et pour marquer cette Journée internationale de l’Infirmière en ce 12 mai, le texte qui suit, élaboré par Raymond Monjole, Cadre Supérieur de Santé à la retraite et Conseiller scientifique paramédical à La Réunion, devrait être diffusé dans toutes les écoles de France et de Navarre. Il retrace l’histoire des personnels infirmiers depuis Florence Nightingale et est étayé par de multiples références bibliographiques.

Hier soumise et docile tu as servi Dieu et les hommes par amour et vocation.
Tu ne comptes pas tes heures bénévoles, offertes au prix bas, plus tard. La survenue de la laïcité a désacralisé ta mission, pour la confier à des femmes ordinaires, que tu as aussi formées, sous la bannière de La République et à laquelle tu t’es ralliée depuis bien longtemps [1] . Tu échappes alors à la soumission déiste, pour être placée, sous l’autorité du médecin, qui fait de toi une auxiliaire exécutante, disposant de ton abnégation.

Pour contribuer à la naissance et l’évolution de ce métier, des pionnières [2] surviennent sous toutes les latitudes : en Crimée, en Angleterre, en Amérique, au Canada, en Suisse, en France hexagonale et à La Réunion. Les femmes, en l’occurrence, deviennent des figures emblématiques professionnelles. Elles créent des équipes soignantes, assistent les malades, soulagent les souffrances, pansent les blessures, bâtissent des écoles, éduquent, forment, théorisent le soin et contribuent avec ardeur à l’amélioration de la situation des femmes soignantes liée à l’Histoire de la femme tout simplement. Cette naissance et mutation de tes activités en profession ne semblent pas suffire pour que tu sois reconnue à ta juste valeur.

Les années d’études s’allongent. Tu uses de ta science et de toute ton intelligence. Tu es présente dans la sphère civile et militaire. Tu occupes tous les secteurs de soin : à l’hôpital, à la clinique, en pédiatrie, en maison de retraite, au bloc opératoire, à l’école, en libre pratique, dans les prisons, tu assures la fonction d’infirmière hygiéniste, et celle de superviseuse de la morgue. La technicité de la médecine te transforme en alliée incontournable du praticien, mais non rémunérée comme il se doit. Certains soignants ont même tout risqué « Ils voulaient donner beaucoup à ceux qui avaient moins qu’eux ils ont tout donné » [3] . Pourtant cela ne semble pas suffire !

Tu associes à ton diplôme d’Etat, des Diplômes universitaires (D.U) de toutes les disciplines possibles. Tu acceptes, conformément au quota, de devenir infirmière en pratique avancée (IPA). Tu ne cesses de participer aux formations continues. Tes années d’études s’allongent encore. Tu accèdes à l’Université, deviens étudiante européenne. Tu perçois une rétribution que les statistiques figent à la vingt-troisième place sur trente-trois, des pays européens [4]. La lenteur de ton avancement professionnel est connue. Si tu travailles à Paris, ton maigre salaire ne te permet pas d’y habiter. Heureusement qu’à La Réunion la majoration de ta rémunération t’offre une vie plus ou moins décente. En France, tu obtiens des augmentations partielles.

En 1988, tu as crié dans les rues, « ni nonnes, ni bonnes, ni connes ! ». Dès 2010, en dépit du processus de Bologne, ta génération est qualifiée de routarde. Tu es désignée comme « Infirmière sac à dos ». Les dénonciateurs pacifiques ne saisissent pas toujours la raison, profonde de cette nouvelle posture. Pardonnez-leur, ils ne savent pas ce qu’ils disent ! Tout étant arrimée à ton ingrate profession, tu refuses tout simplement de « Mourir d’amour enchaînée » [5]. Alors, tu voyages, grâce à ta compétence, travailles dans de différents pays et t’enrichis des autres cultures soignantes en bonne européenne. Tu assures, par la même occasion, la promotion de la devise de La Réunion « Florebo quocumque ferar » (Je fleurirai partout où je serai planté).

Pour investir le « rôle propre », pressenti depuis 1900, par Anna Hamilton [6], femme médecin, puis y inclure l’obligation du « diagnostic infirmier » en 1993, des conditions ont été posées par le corps médical. En 2015, pour obtenir l’habilitation de suturer les plaies chirurgicales, tu as attendu le jugement du tribunal. Pour établir le Conseil de l’Ordre, un vrai combat t’a été également imposé. Cela ne semble pas suffire pour accorder à ta profession ses lettres de noblesse.

Depuis toujours, tu soignes, panses, cajoles, consoles les malades. La crise sanitaire liée à la Covid-19 a rendu visible ta mission. La peur gagne la société, tu es encensée à vingt-heures, vite oubliée le lendemain. Aidée de ton aide-soignante, tu continues, en tandem, front contre front, à préparer les corps des personnes, après leur dernier soupir, les disposes dans les linceuls avec respect, encourages les parents en pleurs regroupés autour du trépassé. Tu avales ta salive, avec un point douloureux au creux de ton estomac. Tu restes discrète et compatissante. Tu quittes le service la peur au ventre, d’avoir été contaminée. Sur la route de retour, avant de rentrer chez toi, tu gares ta voiture, vides ton cœur, pour que tes enfants gardent l’image d’une mère-courage, fière de sa profession. Tout cela ne semble pas encore suffire !

À quand une politique lucide, consciente de l’évolution de la profession infirmière ? Faut-il que chacun de nous, arrivions « Aux Urgences » ou en « Réanimation », un pied dans la tombe, pour que le pays se rende compte vraiment de ta compétence et te considère à ta juste valeur ?

Nous faut-il ressortir le Serment de Florence Nightingale [7], la thèse d’Anna Hamilton, le « Prendre soin » de Marie-Françoise Collière…, les travaux de René Magnon [8], l’humanisme d’Emmanuel Levinas [9], ou celui de la Saint-Andréenne, Aimée Pignolet de Fresnes [10] (16 avril 1849), première infirmière réunionnaise dont la congrégation rayonne dans le monde entier. Elle a formé une équipe soignante, quatre années avant celle de Florence Nightingale en Crimée (1853-1856) [11]. Jusqu’ici, aucune rue ne porte son nom à La Réunion. Nous faut-il répéter tout cela inlassablement, pour que tout un chacun comprenne enfin, que ton travail, « gentille infirmière », brode quotidiennement l’Histoire de la Réunion et celle de l’humanité dans la plus belle étoffe : l’Amour du prochain ?

Raymond Monjole
Cadre Supérieur de Santé à la retraite,
Conseiller scientifique paramédical
IFSI et IFAS du CHU, depuis 2019
Ile de La Réunion


[1Deux encycliques du pape Léon XIII (1810 – 1903), tranchent la question du monde catholique. La première, Rerum novarum (15 mai 1891) invite les catholiques à investir l’action sociale [Georges Hoog, Histoire du catholicisme social en France. 1871-1914, t, II, De l’encyclique Rerum novarum à l’encyclique Quadragesimo Anno, Domat-Montchrestien, 1946, vii-297], la seconde, « Au milieu des sollicitudes » (20 février 1892), appelle, dans la suite logique de la précédente, les catholiques français à rallier La République » Source : Évelyne Diebolt – Nicole Fouché, « Complexité française », Devenir infirmière en France, une histoire atlantique ? (1854-1938), Sciences humaines et sociales, Histoire contemporaine, éditions Publibook Université, Publibook, 2011, p.149

[2Lire pionnières et pionniers

[3Le 18 juillet 1995 en mission humanitaire, des personnels du CHD Félix Guyon ont été victimes d’un accident d’avion à Madagascar. Une stèle en leur mémoire figure dans le hall du Centre Hospitalier Universitaire Nord, Félix Guyon à Saint-Denis. Nous pouvons lire leurs prénoms et noms respectifs : Benoît BESSAC, Olivier DUMONT, Bertrand DUSSART, Sylvie GEROME, Elisabeth LAVALOU, Frédéric MOATTY, Angèle PATEL, Maurice SERY, Alain TANIER.

[4Le Ségur a amélioré quelque peu le classement. L’infirmière française occupe la seizième place, des pays européens. Les salaires : en Suède 2 662 euros, Danemark : 3 200 euros, Suisse 2 700 euros 1200 euros de plus qu’une IDE en France.

[5Titre de chanson de Johnny HALLIDAY

[6« Hamilton, la Nightingale française », Devenir infirmière en France, une histoire atlantique ? (1854-1838), Évelyne Diebolt – Nicole Fouché, Sciences humaines et sociales, Histoire contemporaine, éditions Publibook Université, 2011

[7Sylvie Fagnart, Florence Nightingale, La soignante statisticienne, revue Causette hors- série 12, Printemps 2020, p. 53 et 54

[8René Magnon « Les IDE : identité, spécificité et soins infirmiers ibid, Loi n° 372 (JO du 28 Août 1943 relative à la formation des infirmières ou infirmiers hospitaliers, à l’organisation et à l’exercice de leur profession)

[9Marie-Anne Lescourret, Levinas, reconnu comme « Le philosophe du visage ». Source : Avant-Propos, Le personnage, Grandes biographies, Flammarion, décembre 2005, p.15

[10Prosper Ève « Mère Marie Magdeleine de la Croix, fondatrice de la congrégation des Filles de Marie à La Réunion, Un résumé de la miséricorde », publication des Amis d’Auguste Lacaussade 2017

[11Sylvie Fagnart, Florence Nightingale, La soignante statisticienne, revue Causette hors- série 12, Printemps 2020, p. 53 et 54


Partager cet article

Vous recrutez ?

Publiez vos annonces, et consultez la cvthèque du site EMPLOI Soignant : des milliers de profils de soignants partout en France.

En savoir plus