Le care dans la formation initiale des professionnels paramédicaux (PART.2)

jeudi 11 février 2021, par Isabelle Marzouk

Alors que nous avons abordé la deuxième phase de l’universitarisation de la formation infirmière, il semble pertinent de s’interroger sur la place du care dans la formation initiale des professionnels paramédicaux. Nous nous sommes questionnés, dans un premier article, sur la posture du formateur dans l’accompagnement pédagogique des étudiants. Nous abordons aujourd’hui le concept de care, que nous délimiterons pour ne concerner que la dimension relationnelle et tenterons d’établir des liens entre celui-ci et les postures que doivent adopter les formateurs dans ce contexte.

Concept difficile à traduire et complexe à définir tant il revêt de dimensions différentes, le care est, selon Joan Tronto, « une activité générique qui comprend tout ce que nous faisons pour maintenir, perpétuer et réparer notre monde, de sorte que nous puissions y vivre aussi bien que possible. [1] »

Le care comme antidote à l’individualisme

Le care comporte deux dimensions : la dimension perceptive qui consiste en l’attention que l’on peut porter aux besoins de l’autre et la dimension de l’action qui réfère au travail de care, c’est-à-dire l’ensemble des activités humaines constituant la relation de care. Nous nous attacherons ici au care en tant qu’état d’esprit, en tant que disposition mentale, comme le propose Fabienne Brugère, professeure de philosophie à l’Université de Bordeaux 3, qui décrit la sollicitude comme « un sentir avec l’autre [2] » . A ce moment-là, il s’agit « d’exercer son attention à autrui, d’être disposé à se soucier d’autrui [3] » pour être à l’écoute de ses besoins. Cette disposition mentale nécessite de « prendre en compte ce qu’est autrui au moment présent [4] » .

Cette dimension s’inscrit dans l’idée qu’aucun individu ne peut se suffire à lui-même. La notion d’interdépendance est ici fondamentale pour comprendre l’essence du care : le care comme antidote à l’individualisme. C’est la vulnérabilité inhérente à l’espèce humaine qui conduit chacun de nous à avoir besoin d’un autre à un moment donné,

une force relationnelle de l’ordre de la bienveillance

Penser le care dans la relation pédagogique c’est le penser comme une force relationnelle qui unit les deux extrémités de la relation. Une énergie relationnelle de l’ordre de la bienveillance. Penser le care dans sa relation pédagogique a également comme objectif l’effet modélisant de la relation. Dans un univers professionnel où le temps est de plus en plus consacré à la technicité des soins, la formation et les professionnels qui la dispensent peut avoir comme mission de montrer et de valoriser une autre manière de voir les choses, de favoriser l’humanité des soins, de laisser plus de place à l’éthique du care. Car « Le care permet de redonner une place à la vulnérabilité dans le lien social. [5] » .

Prendre en compte la vulnérabilité de l’étudiant

Mais comment la vulnérabilité et la responsabilité, concepts fondateurs du care, s’expriment-ils en formation ?

Il serait erroné de penser la vulnérabilité comme une état ne concernant que les personnes en situation de fragilité. La vulnérabilité est liée à notre humanité. En s’appuyant sur son étymologie, la vulnérabilité est le caractère de ce qui est fragile, de ce qui peut être facilement atteint, attaqué [6]. L’apprenant est, par essence, en situation de vulnérabilité car en situation d’instabilité. Le processus de formation conduit à des bouleversements parfois intenses, en termes de positionnement, d’émergence d’émotions souvent difficiles à analyser, à gérer. La formation paramédicale en particulier produit des changements intimes que les soignants, qui ont eux-mêmes vécu le même phénomène, ont tendance à oublier.

La vulnérabilité est également liée à la situation d’évaluation permanente dans laquelle l’étudiant se trouve, que ce soit à l’Institut ou en stage, soumis aux regards des autres.

La responsabilité du formateur entre étayage et maternage

Dans ce contexte, la responsabilité du formateur est engagée. Il s’agit d’une part de la responsabilité du formateur référent pédagogique dans l’accompagnement d’un apprenant en situation de vulnérabilité, car l’incertitude de la réussite, voire l’insécurité dans laquelle l’étudiant se trouve selon la progression de son apprentissage et l’acquisition de ses compétences, peut l’amener à dépasser son rôle de formateur vers celui de soignant.

La fonction d’étayage nécessaire en formation ne peut pas être confondue avec le maternage. L’étayage, lié au concept de « zone proximale de développement [7] » mis en évidence par JS Bruner pour la pédagogie, est parfaitement transposable en andragogie, dans le sens du soutien que le formateur apporte à l’apprenant pour l’aider à comprendre le but à atteindre et les moyens d’y arriver [8]. Cet accompagnement dans la compréhension des éléments théoriques et leur transposition dans une pratique soignante contextualisée ne doit pourtant pas se substituer à du maternage qui consiste à « porter » l’apprenant en difficulté dans son apprentissage. Le fait d’être soignant ne doit pas empêcher de voir les capacités réelles des apprenants. Mais cette double casquette est parfois complexe pour l’identité du formateur.

Parce que les attributs du care concernant la vulnérabilité de l’« aidé », la responsabilité de l’« aidant » et l’interdépendance qui en découle, sont transposables à la relation pédagogique, les accompagnants des apprenants-paramédicaux, qu’ils soient formateurs en Institut ou professionnels de proximité, se doivent d’intégrer cette posture pour mener les étudiants sur la voie de l’autonomie.

Appliquer aux étudiants ce que nous sommes censés enseigner

Ces réflexions soulèvent le problème de la formation des formateurs et du développement des analyses de pratiques professionnelles aussi bien entre formateurs au sein des instituts de formation qu’entre soignants en structure d’accueil des étudiants. Ils mériteraient de se développer afin de permettre l’émergence d’échanges constructifs et, par voie de conséquence, le développement de pratiques communes.
Il est toujours surprenant de constater que nous ne sommes pas capables d’appliquer ce que nous sommes censés enseigner : l’absence de jugement, la patience, la bienveillance, l’écoute ne s’appliquent pas toujours entre professionnels et encore moins des professionnels vis-à-vis des étudiants.

La libération de la parole a mis en évidence certains agissements vis-à-vis des étudiants en santé, incompréhensibles venant de soignants censés porter une attention à autrui sans distinction. L’accompagnement des étudiants paramédicaux sur les terrains de stage et en institut semble encore être le reflet d’une confusion entre affectivité et évaluation objective des compétences.

Isabelle Marzouk
Coordinatrice Pédagogique Filière Infirmière
IFPS - Fondation Croix-St-Simon
i.marzouk@lafocss.org


[1TRONTO, Joan, Un monde vulnérable, Paris, Editions La découverte, 2009

[2BRUGERE, Fabienne, www.carnetsdesante.fr/entretiens, 2009

[3Ibidem

[4Ibidem

[5Zielinski Agata, « L’éthique du care. Une nouvelle façon de prendre soin », Études, 2010/12 (Tome 413), p. 631-641. URL : www.cairn.info/revue-etudes-2010-12-page-631.htm

[7La zone proximale de développement (ZPD) est un concept issu du travail de Lev Vygotski, psychologue russe du début du siècle découvert dans les années 60.

[8J.S.Bruner, Le développement de l’enfant : savoir faire, savoir dire, PUF, 1983


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