mercredi 13 avril 2016, par
Il m’apparait intéressant de me questionner sur les fondements de la réforme de la formation en soins infirmiers. Cette nouvelle réforme, comme elle est encore nommée fréquemment par les professionnels de santé, a remis en question à la fois la formation, mais également la conception même du professionnel de santé. C’est pendant un stage en institut de formation en soins infirmiers que j’ai souhaité questionner la place de la compétence.
Après avoir traité le nouveau référentiel de formation des infirmiers, je souhaite aborder ici l’acquisition et le développement de leurs compétences. La finalité de cette réforme est une évolution vers une approche par compétences de la profession d’infirmier comme cela est décrit par l’arrêté du 31 juillet 2009. Il est donc intéressant pour moi de développer dans cette analyse ce que peut signifier la compétence avant d’évoquer son développement et la professionnalisation, en mettant en lien les compétences et les théories d’apprentissages.
La compétence
Pour ZARIFIAN [1], être compétent renvoie en fait à une interrogation : « que faire lorsqu’on ne me dit plus comment faire ? ». Cette définition renvoie directement au questionnement auquel va être confronté tout nouveau professionnel, il est donc intéressant de questionner la notion du développement des compétences dès le processus de formation. Cette interrogation renvoie également aux positionnements des groupes de travail que j’ai pu observer. LATEURTRE-ZIMOUN [2], qui a croisé plusieurs visions sur la compétence, en vient à définir la compétence comme « un ensemble de ressources […] mobilisées […] pour faire face à une famille de situations », tout comme SOREL [3], qui la définit comme une « construction de réponses ajustées aux données situationnelles ».
Cette définition de la compétence se rapproche des apports que j’ai pu avoir en formation jusqu’à présent qui proposaient une vision de la compétence comme la mobilisation et l’articulation de savoir, savoir-faire et savoir comportementaux au regard d’une situation. Si je reprends les théories pédagogiques abordées précédemment, il existe un lien entre la compétence, son développement et les travaux de groupe. En effet, l’interaction des apprenants entre eux leur permet de favoriser le développement des connaissances mais également des liens entre les différentes approches autour d’une situation, chacun pouvant inclure à sa réflexion et ses connaissances les apports d’un autre membre du groupe, mais également utiliser le raisonnement d’un autre membre du groupe pour se l’approprier. Le formateur, dans le développement des compétences en groupe, aura donc pour rôle de cibler les méthodologies les plus appropriées dans un groupe pour qu’elles puissent être reconnues et remobilisées comme méthode de référence.
Vers la professionnalisation
Comme dans de nombreuses situations andragogiques, la finalité de la formation en soins infirmiers est la professionnalisation des étudiants, c’est-à-dire, comme défini par MAUBANT et al [4], la recherche « de conciliation entre […] une situation d’activité et une situation d’apprentissage ». En effet, les cadres de santé formateurs sont conscients qu’ils doivent préparer les professionnels de santé de demain à mobiliser les compétences adéquates. Cela consiste donc en un apprentissage à faire des liens entre des apports théoriques (cours magistraux, lectures, guides de bonnes pratiques, législation, etc.) et des activités pratiques (stages mais aussi situations cliniques). Je peux également faire le lien entre cette théorie et le mode d’apprentissage par alternance prescrit par le référentiel de formation en soins infirmier, qui met en place autant d’heures de stages que d’enseignements théoriques durant la formation.
L’alternance est renforcée par la mise en œuvre de la méthodologie observée pendant les TD (qui représentent 1050 heures de formation contre 750 heures de cours magistraux) durant les stages, par la réalisation, par exemple, d’analyses de situations professionnelles validant en partie le stage. Cependant, comme le précise SOREL [5], il est important d’avoir à l’esprit que si professionnalisation rime avec montée en compétence, il va être indispensable de travailler avec les apprenants le fait que la pratique n’est pas qu’une application de théories mais une mobilisation de compétences situationnelles. Cela met donc en avant l’importance de la méthode d’apprentissage pour que les futurs professionnels de santé, que sont les étudiants, apprennent d’eux-mêmes à faire des liens entre apports théoriques et pratiques, et cela met donc en avant la place du rapport aux savoirs dans l’apprentissage. Cette réflexion sur la professionnalisation remet donc pour moi le cadre de santé formateur au centre d’un processus de construction de potentiels mobilisables par le futur professionnel, dans la mise en œuvre de compétences spécifiques au regard d’une situation professionnelle.
La dynamique de développement créée par le cadre de santé formateur
Il apparait en fait que la méthode socioconstructiviste, de par la place qu’elle donne à la construction des savoirs par l’apprenant, en s’appuyant sur l’échange dans le groupe et sur le cadre de santé formateur comme médiateur, peut favoriser le développement de différents potentiels et donc le développement de compétences et la professionnalisation. La théorie socioconstructiviste repose sur un questionnement de groupe, sur des liens que peuvent faire les apprenants entre une situation pédagogique et sur des acquisitions antérieures pratiques ou théoriques pour en développer de nouvelles. De plus en plus de théoriciens en pédagogie que j’ai pu être amené à étudier mettent en avant la complémentarité entre théorie - pratique et médiatisation par les formateurs de ces liens entre les temps de pratique et de théorie. Les travaux de groupes sont des passerelles créées par les cadres de santé formateurs entre acquisitions durant les stages et en IFSI pour que les étudiants développent leur potentiel de compétences. A l’issue de cette réflexion sur la pratique d’apprentissage en groupe, il m’apparait utile de repenser le positionnement du cadre de santé formateur dans la formation en soins infirmiers. Auparavant pour moi, et ce malgré la réforme en soins infirmiers, le rôle du cadre de santé formateur restait centré sur la transmission de savoir. En s’appuyant sur les théoriciens dont j’ai parlé durant l’analyse, il y a une véritable dynamique de développement des compétences élaborée par le cadre de santé formateur.
Conclusion
Formation professionnalisante, les études en soins infirmiers permettent un réel développement professionnel et humain autour d’échanges en termes d’éthique et de pratiques soignantes. Les étudiants rencontrés durant mon stage ont tendance à dire qu’ « on leur répète qu’ils doivent être acteurs de leur formation ». C’est la base même de l’apprentissage constructiviste, parfois difficilement perceptible par les étudiants qui ne voient que dans leur pratique l’exécution d’une consigne, et ont du mal à percevoir leur évolution ou le sens des propositions pédagogiques des cadres de santé formateurs. Le rôle de médiateur du cadre de santé formateur est, je pense, d’accompagner les étudiants à mettre en lumière leurs apprentissages durant les travaux, cela afin de renforcer positivement l’implication dans l’apprentissage et le développement de compétences professionnelles.
Je conclurai cette analyse en citant MONTAIGNE : « Neque enim disputari sine reprehensione potest » [6], autrement dit : il ne peut y avoir de discussion sans contradiction. C’est là le fondement in fine de mon analyse de situation apprenante et de ma pratique réflexive, ma confrontation de points de vue à autrui ou à d’autres théories, concepts, disciplines qui sont le point de départ du développement professionnel des apprenants. De la discussion naissent des divergences ou des contradictions, comme le dit MONTAIGNE, qui sont des pierres en plus portées à l’édifice du portfolio de compétences des étudiants en soins infirmiers pour demain en faire des professionnels de santé réflexifs sur leur pratique et leur environnement professionnel.
Benjamin Julian
Étudiant cadre de santé
IFCS Marseille
benjamin.mela13200@gmail.com
[1] LAGADEC A-M, (Mai 2011), La réforme des études d’infirmier : compétences, socioconstructivisme et pratique réflexive, Soins Cadres n°78, pages 41 à 44 : ZARIFIAN P. (2004) Le modèle de la compétence, éditions Liaisons, 2ème édition
[2] LATEURTRE-ZINOUN M (Juillet 2012), L’expérience et les compétences peuvent-ils se transmettre ? Biennale internationale de l’éducation, de la formation et des pratiques professionnelles
[3] SOREL M (2008), « À propos de la professionnalisation : le retour du sujet... », Savoirs 2008/2 (n°17)
[4] MAUBANT P et al. (2011), « Des obstacles et des zones d’ombre dans l’étude des processus de professionnalisation », Les Sciences de l’éducation - Pour l’Ère nouvelle 2011/2 (Vol. 44)
[5] SOREL M (2008), « À propos de la professionnalisation : le retour du sujet... », Savoirs 2008/2 (n°17)
[6] MONTAIGNE (XVIème siècle) Les Essais, Livre III, chapitre VIII de l’art de conférer, édition eBooksFrance, 2000