lundi 11 avril 2005, par
Les terrains de stage, l’autre lieu de formation
La formation en soins infirmiers est une formation en alternance. Non seulement, cette conception est légiférée, mais elle est la condition sine qua non de la naissance de compétences chez le futur professionnel.
Les simulations en salle de pratique ont leurs limites et la construction de l’identité professionnelle nécessite un passage obligé dans des équipes où exercent les futurs pairs.
Nous allons tenter d’analyser les difficultés que rencontre les IFSI pour assurer la qualité de la formation qu’ils dispensent.
Le système qualité, c’est “l’ensemble de la structure organisationnelle, des responsabilités, des procédures, des procédés et des ressources pour mettre en œuvre la gestion de la qualité” (ISO 8402) (1) .
Il a pour fonctions principales de “développer, établir, documenter, mettre en œuvre et maintenir” le système “grâce auquel les politiques et les objectifs fixés pour la qualité du service peuvent être atteints” (ISO 9004 - 2).
Une démarche qualité porte sur la totalité du système de formation. Les stages et ce qui s’y fait en matière de pédagogie devraient alors être soumis à contrôle pour prétendre réaliser une démarche qualité réelle.
« La responsabilité de la compétence est du ressort de l’entreprise qui doit fournir les conditions de mise en œuvre favorables, et de l’apprenant qui développe les activités nécessaires d’entraînement » [1].
Même si cette remarque a été formulée dans le cadre d’une formation continue chez l’employeur, il n’en reste pas moins vrai que les partenaires de cette formation en IFSI participent à la qualité de la formation de leurs futurs professionnels.
« L’apprenant est au centre de la production de la formation et de la qualité de ses résultats. Un souci d’efficacité minimum suppose donc un positionnement, une analyse fine des compétences dont il faudrait qu’il fasse preuve à l’entrée en formation, et par la suite une individualisation de l’intervention des formateurs, une adaptation aux particularités de l’apprenant, en accompagnement d’une démarche de consruction de ses propres savoirs et savoirs-faire, de son propre projet de formation. » [2]
Nous avons vu dans l’article sur le processus de professionnalisation que le stage est une période d’apprentissage incontournable pour l’acquisition de la profession infirmière. Pas seulement pour la possibilité de réaliser des actes techniques, mais aussi et surtout parce qu’une compétence ne peut naître qu’en situation. Enfin, l’immersion dans une équipe et les contraintes avec lesquelles elle travaille, mettent à l’épreuve les capacités d’adaptation essentielles à la professionalité.
L’accord européen sur l’instruction et la formation des infirmières précise : « Dans les services où l’élève est affecté, il doit y avoir à tout moment au moins une infirmière diplômée qui puisse assurer la surveillance, et suffisamment de personnel d’autres catégories pour éviter que l’étudiante se voit confier des tâches sans valeur éducative pour elle... ».
Nous l’avions vu [3], l’étudiant est confronté en permanence à deux logiques contradictoires dans leur finalité : apprendre et produire comme les professionnels. Le fait de lui reprocher une lenteur en est un indicateur.
Difficile donc d’apprendre un soin lorsque les professionnels attendent que vous « produisiez des soins », difficile aussi de limiter sa participation dans la conjoncture actuelle de pénurie des professionnels paramédicaux.
L’étudiant tributaire de l’évaluation notée de son stage pour la réussite de ses études, ne peut s’y soustraire sans courir le risque d’être soupçonné « d’individualisme », alors qu’il ne ferait que défendre légitimement son statut d’étudiant.
Apprendre en produisant, c’est l’objectif du stage... produire à la place d’apprendre, c’est une déviance du stage.
C’est un apprentissage difficile en raison du travail quotidien à réaliser dans les unités et qui laisse peu de temps pour entourer et accompagner ce nouveau stagiaire. Malgré la bonne volonté des équipes soignantes, l’accueil du stagiaire laisse souvent une part importante à la formation « sur le tas ».
La théorie et la pratique sont ici étroitement liées et doivent donc être organisées avec cohérence dans le dispositif de formation. Le projet pédagogique, nous l’avons vu aussi [2] doit prévoir un contrat pédagogique [4] conclu avec les terrains de stage, et contenir une structure mentale d’apprentissage [5].
Nous mesurons par ces quelques notions, si besoin était, la place importante de l’encadrement en stage pour assurer la qualité de la formation des étudiants en soins infirmiers.
Avec une représentativité maintenant d’un peu plus de 50 % dans le temps total de formation, les difficultés que rencontrent les terrains de stages dans l’encadrement ne peuvent manquer d’avoir des répercussions sur la formation de ces futurs professionnels de la santé.
Nous allons étudier ce que prévoit la législation concernant cette gestion des terrains de stages.
Une formation légiférée pour une profession réglementée
Le fait que les périodes d’apprentissage en stage représentent la moitié du temps de formation, serait suffisant pour entreprendre une évaluation du caractère formateur des stages.
L’alternance permettant le tranfert de connaissances en situation, la mise et oeuvre et la vérification de ce processus devrait retenir toute l’attention de l’équipe pédagogique . Mais cette évaluation qualitative est aussi rendue nécessaire par les textes réglementaires.
La qualité de la formation dépend donc aussi de sa conformité à de nombreux textes :
- Le décret du 23 mars 1992 relatif à la formation en soins infirmiers et ses additifs.
- L’ordonnance de 1996 relative à l’évaluation des pratiques
- L’arrêté du 06 septembre 2001 relatif à l’évaluation des connaissances et des aptitudes acquises au cours des études conduisant au diplôme d’Etat d’infirmier.
- La loi du 4 mars 2002 relatif aux droits des personnes et à la qualité du système de santé.
- La loi du 09 août 2004 relative à la politique de santé publique
- Le décret n° 2004-802 du 29 juillet 2004 (et ses annexes) relatif aux parties IV et V (dispositions réglementaires) du code de la santé publique et modifiant certaines dispositions de ce code, comportant les actes, règles et déontologie professionnels
- La charte du patient hospitalisé, de la personne âgée dépendante, des soins palliatifs...
Pour le fonctionnement de l’IFSI mis en place par un établissement de soin :
- Le projet d’établissement.
- Le projet du service de soins infirmiers.
- Le projet pédagogique de son IFSI.
Cette formation doit prendre en compte l’évolution des besoins par rapport à l’évolution des pratiques professionnelles sur le terrain. Il est attendu d’un institut de formation en soins infirmiers, qu’il maintienne et développe une offre large et de qualité en professionnels infirmiers.
La responsabilité des IFSI
Nous relevons certains passages relatifs aux stages permettant de situer cette obligation d’évaluer les stages de formation par les IFSI :
La présentation du programme d’études [6] [7] paragraphe V, les stages cliniques :
« Les stages constituent au sein de la formation un temps d’apprentissage privilégié d’une pratique professionnelle par la possibilité qu’ils offrent de dispenser des soins infirmiers.
Ces stages s’effectuent en milieu hospitalier et en milieu extra hospitalier dans des structures bénéficiant d’un encadrement adapté.
L’enseignement clinique doit être assuré par du personnel diplômé qui prépare progressivement les étudiants aux responsabilités qu’impliquent les soins infirmiers.
L’organisation des stages relève de la compétence des instituts de formations en soins infirmiers en collaboration avec les responsables des structures d’accueil.
Les objectifs de stage sont définis par les équipes enseignantes des instituts de formation en soins infirmiers en liaison avec les personnels responsables de l’encadrement des étudiants sur le lieu de stage.
Chaque stage doit faire l’objet d’une analyse qualitative afin d’évaluer le degré de réalisation des objectifs. »
C’est avec cette dernière phrase assez généraliste que le législateur introduit la notion d’évaluation qualitative d’un degré de réalisation des objectifs.
Des objectifs de quoi, de qui, pour quoi, pour qui ? Parle-t-il des objectifs de stage (institutionnels ? personnels à l’étudiant ?), des objectifs d’encadrement, des objectifs d’apprentissage prévu par le projet pédagogique ou le projet professionnel ?
Cette phrase est généraliste à souhait et cela contribue à ce que ni l’IFSI, ni la direction de l’établissement de soins, ne mettent en œuvre une quelconque analyse de qualité dans l’organisation des stages.
S’il est difficile d’interpréter ce qui est écrit, à fortiori, il est courant de s’abstenir de ne pas faire ce qui n’est pas écrit ; c’est en tout cas la position la plus fréquente dans le milieu de la formation en soins infirmiers. Les centres hospitaliers ont créé des instituts de formation en soins infirmiers et réalisent l’accueil et la formation des stagiaires dans les services de soins pour répondre en partie à l’obligation de formation des professionnels paramédicaux (mission de formation du service public).
Le contenu des enseignements, paragraphe II, recommandations générales concernant l’étude des différentes pathologies, alinéa 3 :
... « L’enseignement de la sémiologie s’appuie sur des situations observées au cours des stages effectués par les étudiants. »...
et la présentation du programme d’études [12] [13] paragraphe V, les stages cliniques :
« Chaque année, tous les étudiants doivent effectuer des stages en rapport avec le contenu de l’enseignement théorique parallèlement suivi »...
Les étudiants sont censés effectuer des stages en rapport avec le contenu de l’enseignement théorique parallèlement suivi ; il n’était pas évident avec des promotions de 60 étudiants de les envoyer tous en maternité et gynécologie la première année par exemple, avec seulement 5 périodes de stage prévues au programme (ce qui représente à chaque fois 12 étudiants dans le même type de stage pour la même période).
Actuellement, les fermetures des services de maternité diminuent les lieux de stage, et les effectifs des promotions ont doublé (120), cela devient complètement utopique. L’enseignement de la sémiologie s’appuyant sur les situations observées au cours des stages ne peut concerner à ce jour que quelques étudiants seulement.
La responsabilité des professionnels du terrain de stage
L’infirmière générale [8] :
« la compétence de l’infirmière générale s’étend aux élèves en formation dans les écoles préparant aux professions d’infirmières, dans la mesure où ces élèves sont appelés à parfaire leur formation dans les services de soins. » [9]
Les cadres infirmiers :
« Dans l’unité il accueille les stagiaires, les soutient dans la réalisation de leurs objectifs, contrôle leurs apprentissages et participe à leur évaluation. » [10]
Par ailleurs, « il appartient aux surveillants infirmiers de chaque service de prendre les mesures nécessaires pour assurer un bon suivi de l’activité des stagiaires, en fonction de la nature du service et de ses conditions de fonctionnement. La désignation d’un infirmiers chargé d’assurer le tutorat auprès de l’étudiant me paraît tout à fait souhaitable » [11],
Mais aussi : « À l’issue du stage une évaluation est réalisée par la personne responsable du stage en collaboration avec l’équipe ayant effectivement assuré l’encadrement... Les notes sont étayées par une appréciation précise et motivée. La personne responsable de la notation communique la note et l’appréciation qui l’accompagne à l’étudiant au cours d’un entretien. » [12]
Cette mission d’enseignement dictée par les missions de la fonction publique hospitalière et réalisée par les unités de soins ne fait pas l’objet d’une évaluation. S’il existe des tuteurs identifiés sur le terrain de stage recevant l’étudiant, ces derniers ont rarement bénéficié d’une formation minimum en pédagogie pour être tuteur.
Cette pratique d’exercer une activité sans avoir la formation adéquate est fréquente dans la fonction publique hospitalière (faisant fonction cadre ou formateur, des aides-soignants exécutant des soins réservés aux infirmières, des ASH réalisant des toilettes...). Mais le secteur privé est tout autant touché par le phénomène.
S’il y avait un tuteur formé sur les lieux de stage, alors, et alors seulement, l’IFSI et le terrain seraient considérés comme deux lieux d’apprentissage avec de la pédagogie et des « formatrices occasionnelles ».
L’IFSI, un service de formation autant dépendant de ses partenaires qu’un responsable d’une formation continue extérieure à l’entreprise
L’évaluation de l’encadrement offert par les terrains rencontre une difficulté à priori car ces terrains de stage hospitaliers sont souvent placés sous la même direction que le service de formation.
Mais ceci est aussi vrai pour un autre établissement accueillant les étudiants, qu’il soit public ou privé. Un service de formation d’un établissement peut-il aller évaluer la capacité formative d’un autre établissement sans risquer l’incident diplomatique ? Sans que cela soit considéré comme de l’ingérence ?
De plus, ces terrains de stage peuvent être le futur lieu d’exercice de l’étudiant (évaluation du futur employeur ici), s’il ne l’est pas déjà.
Pourtant nous assistons assez fréquemment à une sorte d’auto-évaluation des professionnels du terrain à l’occasion d’une évaluation de l’étudiant.
La notation finale des stages, comme les évaluations lors d’une mise en situation professionnelle de l’étudiant peut aboutir soit :
- à une sur-notation où certains professionnels cherchent à « correspondre aux attentes » de l’ISFI, d’une façon qui laisse supposer que leurs capacités d’encadrement, de tutorat, se retrouvent elles aussi évaluées ce jour là, au travers des résultats obtenus par l’élève (auto-évaluation de la personne responsable du stagiaire et du service recevant le stagiaire).
- à une notation normative [13], en rapport avec les attendus professionnels et moins avec une notion de niveau d’études de l’étudiant,
- à une notation de « reconnaissance pour service rendu » à l’équipe, si durant le stage, l’effectif amoindri a mis l’étudiant en position de « bras supplémentaires ». L’équipe ne se sent pas alors le droit de lui reprocher les manques d’apprentissage constatés parce que les moyens d’encadrement ont été jugés insuffisants.
- voire à une notation de recrutement, et ceci est sans doute encore plus vrai pour les stages de projet professionnel.
Ces états de fait sont quelques-unes des explications qui peuvent être avancées pour expliquer le décalage souvent observé entre les appréciations littéraires portées sur la feuille et la note attribuée, mais aussi celui qui existe entre les résultats théoriques (moins performants) et les résultats cliniques des étudiants en soins infirmiers.
Le paragraphe II Programme des études conduisant au diplôme d’état d’infirmier, pointe la nécessité de l’évaluation de la qualité des stages, avec un contrôle tutélaire possible :
... « Il appartient au médecin inspecteur de santé publique en fonction dans le département où est situé l’I.F.S.I. de vérifier le caractère formateur de ces terrains de stage. » ...
Maintenant que nous avons dépeint par le cadre théorique et réglementaire, non sans un regard critique, la conception attendue « sur le papier » de la formation en soins infirmiers, nous allons étudier dans la seconde partie de cet article, les conséquences réelles sur la qualité de la formation, de l’augmentation assez brutale des quotas dans les IFSI.
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[1] Hubert GRANDJEAN, Pascale MIENVILLE, Bernard SCHNEIDERMANN. Optimiser la qualité de service dans les organismes de formation. , AFNOR, 2001, ISBN 2-12-465052-1.
[2] in « Eléments de problématique pour l’ingénierie en formation d’adultes » Association REBIS
[4] Contrat pédagogique appelé aussi par certains auteurs, contrat didactique qui devrait fixer les conditions d’encadrement, d’apprentissage ainsi que les objectifs pédagogiques visés par le stage
[5] Méthodes pédagogiques nommées, objectifs d’apprentissages définis
[6] Circulaire DGS/2C n° 2002/268 du 30 avril 2002 relative aux études conduisant au diplôme d’état infirmier
[7] Circulaire DGS/2C n° 2002/268 du 30 avril 2002 relative aux études conduisant au diplôme d’état infirmier.
[8] La dénomination « Directeur de soins » ne désigne plus un professionnel issu de la filière de soins. L’appellation « infirmière générale » qui s’était effacée au profit de l’évolution du grade de directeur de soin, peut donc reprendre cours : Conseil d’État statuant au contentieux le 05 avril 2004
[9] circulaire DH/8D du 02.10.1990 relative à l’application du décret du 18.10.1989 portant statut particulier des infirmiers généraux de la fonction hospitalière.
[10] Circulaire DH/8A/PK/CT n°00030 du 20 février 1990 portant mission et rôle des surveillant(e)s et surveillant(e)s chefs hospitaliers (non parue au JO ni au BO).
[11] Circulaire DGS du 09.12.1992 relative à la formation des étudiants infirmiers
[12] Circulaire DGS / 2C n°2002/268 du 30 avril 2002 relative à l’évaluation continue des connaissances et aptitudes acquises au cours des études conduisant au diplôme d ‘état infirmier.
[13] Dans le sens « mise en normes » de la performance de l’étudiant