Patient partenaire : retours d’expérience et réflexion pour favoriser la collaboration dans une équipe pluridisciplinaire

La participation des patients experts à la vie d’un service de soins fait partie des critères d’évaluation lors de la certification HAS des établissements de Santé. Mais qu’en est-il en pratique ? Comment cela se matérialise-t-il sur le terrain ? Aurélia Joureau Chabert et Manuel Lenuzza ont mené un mémoire sur le sujet pour lequel ils ont recueilli l’expérience et le ressenti des soignants et des patients partenaires eux-mêmes. Il s’avère que ce qui doit fonctionner sur le papier se heurte souvent à des freins, des incompréhensions, des réticences. Explications...

En France, 20 millions de patients vivent au moins avec une pathologie chronique, ce qui représente plus d’un tiers de la population française. Les maladies chroniques nécessitent que les patients acquièrent des compétences complexes afin de gérer le quotidien.

Co-construire avec le patient expert un nouveau modèle de gouvernance

Depuis le début des années 2000, nous assistons à l’essor de la démocratie sanitaire qui vise à associer l’ensemble des acteurs du système de santé dans l’élaboration et la mise en œuvre de la politique de santé. Même si la loi du 04 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé inscrit officiellement la démocratie sanitaire dans le fonctionnement du système de soins, son renforcement est au cœur de la loi HPST du 21 juillet 2009.

La démocratie sanitaire ne reconnait pas seulement le patient en tant qu’acteur individuel de sa prise en charge mais en tant qu’acteur collectif du système de santé. Le secteur sanitaire et médico-social est alors marqué par la recherche d’un nouveau modèle de gouvernance permettant d’impliquer la population à la conception et la mise en œuvre des politiques de santé. Il n’est plus question de seulement d’agir au nom des usagers, mais de co-construire avec eux, de prendre en considération l’expérience et l’expertise des personnes accompagnées. A l’instar de nombreux pays, le patient prend une nouvelle place, appelée en France « le patient expert ».

Des patients partenaires aux multiples missions

Les différentes missions des patients experts correspondent à leur rôle au sein du système de santé. Nous pouvons ainsi distinguer les patients éducateurs impliqués dans l’éducation thérapeutique, les patients formateurs (en IFSI, faculté de médecine, établissements de santé, etc.) chargés d’enrichir la formation des professionnels, les patients co-chercheurs impliqués dans la recherche ou les patients partenaires des professionnels dans les services de soins et exerçant de la pair-aidance. Le patient partenaire est donc une personne qui « a suffisamment de recul sur le vécu de son parcours de santé. Il est capable d’adopter une posture de collaborateur empathique au service d’un accompagnement pluriprofessionnel auprès d’un patient atteint de la même maladie ».

Une collaboration avec les soignants qui n’est pas encore généralisée

En tant que managers de proximité, convaincus de l’intérêt de la collaboration patient partenaire / équipe pluridisciplinaire, tant au niveau de la sécurité des soins que de l’amélioration de l’accompagnement des pathologies chroniques, nous nous sommes questionnés sur la mise en œuvre de ce dispositif. Si la mise en place semble portée par un arsenal juridique à travers diverses directives, nous avons le sentiment qu’il est encore très peu déployé. Après de nombreuses recherches, nous avons constaté qu’il existe, à ce jour, très peu de mise en œuvre du dispositif.

Pourquoi cette collaboration entre soignants et patients partenaires, dont on parle depuis 2009, n’est-elle pas encore mise en place dans chaque établissement de soins ? Quel est le réel état des lieux en France, comment cela est-il organisé ? Existe -t-il des freins à cette collaboration ? Notre rôle de manager est de favoriser la collaboration des acteurs dans le but de garantir et d’améliorer la sécurité et la qualité des prises en charge. Nous nous sommes donc interrogés sur la manière d’accompagner nos équipes dans cette collaboration.

Nous avons tenté, à travers notre mémoire, de répondre à cette problématique :
Au regard des injonctions institutionnelles, comment, en tant que manager, favoriser une collaboration entre le patient partenaire et l’équipe pluridisciplinaire ?

Un travail de recherche pour tenter de favoriser la pair-aidance

Nous avons mené notre recherche dans 3 établissements sanitaires traitant de maladies chroniques (cancérologie et néphrologie) et dans lesquels un dispositif de pair-aidance était déjà en place. Nous avons réalisé des entretiens semi directifs auprès de soignants, patients partenaires et managers. Nous avons complété ce recueil de terrain par une recherche documentaire importante reprenant un certain nombre de données empiriques. Nous avons également assisté à des réunions de patients partenaires et des webinaires sur l’expérience patient.

Dans un premier temps, nous avons réussi à mieux comprendre l’émergence du patient partenaire, aussi bien sa place dans la société qu’au niveau législatif, et les freins existants. Nous avons ainsi pu constater que, sur le terrain, les patients partenaires sont méconnus, peu nombreux et inégalement répartis sur le territoire. Nous avons également observé que la pression institutionnelle liée bien souvent à la programmation des visites de certification HAS s’oppose à un manque de recommandations précises de mise en œuvre du dispositif des autorités (statut du patient partenaire, critères de recrutement, cadrage des différentes missions, financement…). Cette contradiction conduit régulièrement à du bricolage organisationnel, voire, pour certains, à des techniques de windows dressing.

Nous avons, dans un second temps, identifié un certain nombre d’oppositions entre acteurs entravant également la collaboration. Tout d’abord, nous avons relevé une dualité entre les patients partenaires. Les opinions divergent beaucoup entre eux, tant sur la définition de leurs rôles que sur leurs statuts ou encore le type de formation à suivre. Cela génère des désaccords empêchant l’émergence d’un collectif. Nous avons également repéré cette opposition entre patients partenaires et soignants. La méconnaissance du rôle de chacun entraine des craintes et des tensions, sous tendant un jeu de pouvoir entre sachants et profanes.

Une analyse qui permet de formuler des préconisations à l’attention des managers de Santé

C’est au regard ces freins que nous avons pu proposer un ensemble de 13 préconisations à l’attention des managers de proximité afin qu’ils puissent favoriser la collaboration des patients partenaires avec leurs équipes de soins. Ces recommandations reprennent la nécessité d’un cadre institutionnel bien défini, tant dans l’identification claire des missions que dans le recrutement des patients partenaires, mais aussi le rôle primordial du manager dans la communication, la sensibilisation et l’intégration d’un patient partenaire au sein de son équipe. Nous avons enfin proposé que l’état de cette relation soit régulièrement évalué et réajusté.

Au travers de nos entretiens, nous avons mis en évidence un certain nombre de freins mais nous avons conscience que cette liste est loin d’être exhaustive. Il en va de même des préconisations proposées qui devront être adaptée minutieusement à chaque parcours. Elles devront refléter le sens profond que chaque structure souhaite donner à l’accompagnement des patients.

Une réflexion globale à mener par les directions et les organismes de tutelle

Notre travail ne peut répondre à l’intégralité de notre questionnement, certaines pistes restant à développer. Le positionnement des institutions comme les ARS restent à uniformiser et des recommandations pratiques nationales quant au statut des patients partenaires restent à définir afin d’aider au mieux les établissements de santé à déployer la pair-aidance. Le patient partenaire ne pourra jouer un rôle important qu’à condition que sa place soit bien définie et reconnue. Une sensibilisation générale, par le biais de campagnes de communication, devrait également être mise en place afin que l’ensemble des citoyens puissent mieux appréhender la place de l’expérience patient et sa complémentarité sur les parcours de soin.

Il serait dommage que les établissements s’investissent dans ces démarches afin de répondre aux critères de certification mais que cela soit laissé à l’abandon ensuite. Chaque direction doit mener une réflexion globale de l’expérience patient qu’elle souhaite et du sens à donner à celle-ci. Ceci relève, à notre avis, de l’assurance d’une pérennité du dispositif. L’émergence du patient partenaire doit permettre de faire naitre une nouvelle relation de confiance entre les patients et les soignants. Favoriser cette collaboration est un véritable enjeu pour les manager des services accueillant des malades chroniques.

Aurélia Joureau Chabert et Manuel Lenuzza
Cadres de santé
Centre Léon Bérard, Lyon
ajoureau@hotmail.com


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