Objectiver le vécu d’une charge en soins tout en créant une expérience pédagogique (PART.2)

Pour évaluer avec le plus de cohérence possible les besoins en personnels paramédicaux dans un service de soins, il est nécessaire de définir clairement la charge en soins que nécessite l’ensemble des patients de cette unité. Cécile Kanitzer et Hélène Montaigne nous font part de la méthodologie qu’elles ont élaborée et utilisée à l’Institut de Cancérologie de l’Ouest. Après avoir décrit leur méthode et expliqué leur manière d’identifier un temps soignant prévisionnel par patient, elles dévoilent aujourd’hui comment elles appliquent cette méthode à la réalité de terrain et aux évolutions de la charge en soins.

Objectiver le nombre de patients réellement pris en charge

Par sélection aléatoire, 30 dates ont été sélectionnées pour l’analyse souhaitée sur les années 2018, 2019 et 2020. Ces dates ont été validées en groupe de travail.
Pour chacune de ces dates, le nombre de patients réellement pris en charge a été compté. Il en résulte pour notre exemple que :

  • Le nombre de patients est stable sur ces trois années ;
  • Le nombre d’IDE est prévu pour 67 patients par jour, mais au réel il n’y a que 58,5 patients (soit 87% de la cible) ;
  • 9 IDE sont ainsi staffés pour réellement 58 patients, soit 6 patients par IDE (et non 7 comme définit par l’approche « ratio » prévisionnelle ;
  • Un patient bénéficie donc de 71 minutes, soit 1h11 de temps IDE au réel (contre 1h02 au prévisionnel).

A ce stade, l’analyse a conclu que :

  • Le contenu du soin avait dû probablement évoluer depuis trois ans pour créer un sentiment de charge en soins plus importante malgré un nombre de patients constant ;
  • La cible quotidienne, estimée par l’application d’un taux de rotation proposé en dialogue de gestion, n’était ni atteinte, ni atteignable en raison du profil des patients programmés.

Comprendre l’évolution des patients

Au centre des préoccupations de notre démarche, la « lourdeur des patients » a nécessité de revêtir une réalité concrète. Pour cela, il a été décidé de choisir des critères pouvait faire l’objet de requêtes dans le DPI au niveau des enregistrements paramédicaux et définir ainsi une forme de « sévérité » des patients.

C’est le document « macro-cible d’entrée » qui a été sélectionné pour cette approche et pour deux données saisies par les IDE :

  • Le mode d’entrée du patient : « Debout\Fauteuil\Brancard ». Les patients arrivant en fauteuil ou brancard ont été ici considérés comme plus lourds en soins ;
  • Les toxicités induites par les traitements : les patients présentant des toxicités nécessitant une adaptation ou un changement de prise en charge ont été considérés comme plus lourds en soins. Le pourcentage de sévérité des patients a été calculé sur le nombre de patients présentant l’un et\ou l’autre de ces critères au prorata des patients n’en présentant pas. Ce pourcentage est concrètement en augmentation sur la dernière année, dépassant de 10% avec un pic atteignant 24% pour une journée.

En complément, le Performance Statut (PS) [1] a été considéré . Il en est ressorti les éléments suivants :

  • Le PS est une cotation parfois utilisée par les médecins pour préciser l’état général du patient en amont de sa programmation de soins ;
  • Le PS n’est ni réalisé de façon systématique, ni un indicateur de charge en soins
  • Le PS est une cotation transférable aux IDE et pouvant être complétée d’un indicateur sur l’autonomie du patient ;
  • Le PS pourrait être intégré à une « note de synthèse paramédicale du jour » pour chaque patient ce qui permettrait d’observer des courbes d’évolution de l’état général du patient.

A ce stade, c’est donc bien le contenu du soin qui a changé mais pas forcément le volume horaire des soins :

  • Les patients « moins sévères » sont pris en charge moins longtemps et augmentent la rotation par place ;
  • Si les patients sont aujourd’hui « plus sévères », la rotation par place est mécaniquement moins importante. L’organisation des soins dont la répartition des charges par métier nécessite dès lors d’être ajustée.

Un indicateur de « sévérité » n’a d’utilité que pour la programmation des soins. Dans la continuité, comprendre l’évolution des patients doit permettre d’anticiper l’activité. A posteriori, il a été choisi d’analyser les impacts de cette évolution sur l’activité réelle. Pour ce faire, le DIM a été mis à contribution pour disposer du nombre de patients prévus « non venus » (annulation de préadmission) ainsi que de transformations de la typologie des séjours (hospitalisation ambulatoire transformée en soins externe ou hospitalisation conventionnelle).

Les données extraites par le DIM, n’ont pas été révélatrices et il a été difficile de conclure qu’une transformation d’un séjour en soins externes ou en hospitalisation complète soit systématiquement synonyme d’une diminution ou d’une majoration de la charge en soins. Pour affiner cette notion de prise en charge plus importante que prévue, les soignants ont proposé d’enrichir ou de modifier le document « macrocible d’entrée » en y ajoutant une question portant sur le changement de la prise en charge initialement programmée, avec un barème associé à la charge en soins pouvant être définie comme :

  • Conforme à la prévision ;
  • Moins importante (départ précoce) ;
  • Plus importante (examens et/ou soins complémentaires, retard de prise en charge) ;
  • Beaucoup plus importante (transfert, soins d’urgences).

En complément, le nombre d’annulations de séjours a été compulsé. En moyenne sur les trois années évaluées, il y a eu 1,5 annulations par jour (soit chaque jour un peu plus d’un patient est venu sans recevoir de traitement). Il est observé un pic de 5 annulations sur une journée. Avant septembre 2019, les annulations ne concernaient pas les patients « sévères ». Depuis septembre 2019, les annulations concernent plus régulièrement des patients « sévères ». Les raisons des annulations sont, à 42% des recontrôles de bilans sanguins, à 20% des problématiques infectieuses ou, à 38%, liées à l’évolution de la maladie et/ou à des pathologies associées. Ces éléments sont spécifiquement liés aux soins ambulatoires d’oncologie médicale.

Il faut en conclure que les patients ne sont plus les mêmes depuis une année, mais que leur état général ou leur situation clinique ne sont pas directement liées à une évolution de la charge en soins. Pour autant, le vécu des soignants reste intact en ce qui concerne un sentiment de charge en soins plus importante parce que les patients sont plus complexes et dépendant. Au sein de l’hôpital de jour, le nombre de patients pris en charge chaque jour est en deçà de la cible souhaitée. Mais ce nombre étant stable et les soins étant en cohérence avec l’état clinique des patient, c’est bien le contenu du soin qui crée la « lourdeur » et non le nombre de soins réalisés qui, eux, restent dans le volume horaire prévisionnel. Il reste en conséquence à évaluer si les soins actuels relèvent de compétences infirmières ou aides-soignantes.

Définir la répartition des compétences adaptées aux soins programmés

La répartition des compétences aux soins programmés est une gageure qui perturbe des schémas fonctionnels dès lors qu’il est observé des transferts de charge en soins d’une compétence à une autre.

Dans notre exemple, les infirmiers ont certainement pris l’habitude d’un « cadre unique » [2] peu enclin à confier des actes de soins à des aides-soignants. Ceci est très clairement observé dans notre exemple par l’absence totale de traçabilité des soins réalisés par les aides-soignants : aucune aide à la mobilisation, aucun change, aucun accompagnement au repas, etc., n’est mentionné dans le dossier du patient. Ce triste constat a conduit à confirmer les finalités d’une telle démarche :
Mieux connaitre l’unité et l’intensité des soins pour chaque séjour de patient ;

  • Visualiser l’évolution et les tendances de l’activité de soins sur la base d’indicateurs quantifiés ;
  • Aider à optimiser les ressources humaines en termes d’effectifs, de qualifications, de compétences et de formations ;
  • Repérer certains aspects de l’organisation du travail ;
  • Objectiver tant le vécu des soignants que celui de l’encadrement médical et paramédical ;
  • Redonner à chaque métier sa reconnaissance et son juste positionnement dans les programmes de soins.

Créer les outils dont l’utilité est adaptée aux besoins des professionnels

Dans le même ordre d’idée que pour les actes aides-soignants exposés ci-dessus, un des outils paramédicaux utilisés quotidiennement s’est avéré finalement inadapté aux besoins des soignants. Dans le DPI, les IDE disposent d’une « macro-cible d’entrée » et d’une « macro-cible de sortie ». Ces deux « macro-cibles » ne correspondent pas à la définition MTEVD [3] , ne sont pas concrètement utilisées comme des supports de transmissions et ne sont pas systématiquement complétées.

Les soignants ont besoin d’une « note de synthèse du jour » qui permette la traçabilité des actes réalisés par tous les paramédicaux et la transmission des éléments nécessaires à la continuité des soins. Comme nous l’avons développé plus en amont, cette « note de synthèse du jour » pourrait potentiellement recueillir également des indicateurs de suivi de l’état général du patient ou d’indicateurs de charge en soins.

Objectiver le vécu d’une charge en soins tout en créant une expérience pédagogique

L’expérience pédagogique a été très enrichissante tant pour le cadre de santé que pour l’équipe médico-soignante et les élus :

  • Ensemble, ils ont réalisé une démarche constructive de valorisation objective du travail soignant ;
  • Ensemble, ils ont évalué leur propre charge en soins et préparé des indicateurs de suivi pour l’avenir. Il en résulte notamment un tableau de bord « météo » (TAB METEO) ;
  • Ensemble, ils se sont impliqués pour la création de la méthode et sa mise en œuvre tout en préparant ainsi une conduite de changement appropriée ;
  • Ensemble, ils ont créé l’adhésion de tous à un projet pertinent.

Cette expérience ouvre ainsi de nouvelles perspectives pour professionnaliser les paramédicaux au suivi d’indicateurs sur leurs propres pratiques, pour aloriser les soins paramédicaux, ainsi que pour décloisonner, partager, parangonner les données d’activités paramédicales.

Cécile Kanitzer, Directeur des soins
Hélène Montaigne, cadre de santé
Institut de cancérologie de l’Ouest


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