lundi 9 mai 2022, par
Après les récentes déclarations de Martin Hirsch sur la réforme souhaitée du système hospitalier, au cours desquelles il met directement en cause l’existence de la fonction de Directeur de soins, les managers de Santé ne décolèrent pas. Un collectif représentant ce métier nous a notamment interpellé pour nous faire part de son indignation avec un discours fort et étayé. En voici ci-dessous son contenu intégral.
Le journal « Les Échos » a donné, le 3 mai 2022, une tribune au Directeur Général (DG) de l’Assistance Publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP) Martin Hirsch dans laquelle il dresse un constat accablant sur le système hospitalier français en crise.
Un constat alarmant mais des propositions à tous les niveaux
Il dresse un bilan très noir quant à l’évolution de l’hôpital ces dernières années, sur fond de fermetures de lits, de pénurie de personnels médicaux et paramédicaux, de financement de la Santé incohérent, sans oublier, entre autres, la crise de la médecine de ville. Mais il ne s’arrête pas à des constats dans cet article. Il donne quelques pistes de réflexion susceptibles de pouvoir améliorer le système, sur des thématiques diverses comme la formation des professionnels de Santé, leur rémunération, leur évolution de carrière, comme le financement de l’hospitalisation exclusivement issue de la T2A ou comme la gouvernance des établissements de Santé.
Et c’est ce dernier point qui a créé la polémique depuis au sein des managers de Santé. Il décrit une situation où « les paramédicaux se retrouvent dans des directions de soins qui résultent des acquis de la grande grève des infirmières des années 90, ... qui se traduisent par une hiérarchie supplémentaire, faisant doublon avec les directions des ressources humaines, orthogonales avec l’ossature hiérarchique des départements médicaux et des services ». Il n’en fallait pas moins pour provoquer l’ire des syndicats représentatifs, qui sont montés au créneau tout au long de la semaine qui a suivi.
La fonction de Directeur de soins directement mise en cause par Martin Hirsch
Le CH-FO a ainsi regretté, dans un communiqué, que la célébration des vingt ans de la promulgation de cette fonction paramédicale « risque de finir dans un précipice si l’on en juge les propositions chocs du DG des Hôpitaux de Paris » et s’est montré « surpris de la représentation dans laquelle sont enfermés les paramédicaux et les explications avancées pour expliquer le malaise des professionnels à l’hôpital ».
Pour le Syndicat des Manageurs Publics de Santé (SMPS), les Directeurs de soins sont « au carrefour des missions de direction et de la sphère du soin (et) sont indispensables au fonctionnement hospitalier, tant dans le pilotage managérial et leur rôle dans la gouvernance que dans leurs missions dans la formation des futurs professionnels paramédicaux. » Après un rappel des différentes fonctions que recouvre ce statut, le SMPS rappelle que « les vacances ou l’absence de Direction des Soins aux côtés des Chefs d’établissement et des Présidents de CME conduisent à de graves difficultés de fonctionnement, quelle que soit la taille de la structure ».
Un collectif de Directeurs de soins prend la plume pour une réponse cinglante
Mais c’est d’un collectif de Directeurs de soins en poste que nous est parvenu le communiqué le plus éloquent dans ce contexte. Nous avons pris le parti de le retranscrire dans son intégralité :
« Mi-2020, en pleine crise sanitaire, des directeurs des soins avaient manifesté leur colère face à l’absence de considération pour leurs fonctions dans les nombreuses propositions de réforme de la gouvernance hospitalière lors des débats aux Ségur de la Santé dont celles de l’APHP. Ils avaient appelé́ à conforter la place légitime du directeur de soins en tant que président de la Commission des Soins Infirmiers de Rééducation et Médico-techniques (CSIRMT) et le rôle essentiel de cette instance règlementaire représentant les paramédicaux et non une sous-Commission Médicale d’Établissement (CME). Grâce à une forte mobilisation des directeurs des soins, de directeurs d’hôpitaux, et des organisations syndicales, les directeurs des soins ont réussi à « sauver » leurs prérogatives, non sans mal.
Aujourd’hui, après ces deux années de crise sanitaire qui ont fortement impacté les soignants et leur gouvernance, les directeurs des soins constatent que l’APHP, à travers un communiqué effrayant de son Directeur Général Martin Hirsch, affirme entre autre que « la hiérarchie exercée par les directeurs des soins semble faire doublon avec la DRH ». Peut-être pourrait-il simplement se questionner sur la capacité de sa DRH à travailler en partenariat avec la direction des soins. Il poursuit en attaquant sans la citer la place de la CSIRMT en replaçant le Comité Technique d’Établissement (CTE) comme une instance représentant les paramédicaux de façon parallèle à la CME. Sauf que cette simplification est fausse et nie profondément la place et l’expertise des paramédicaux comme l’avaient rappelé́ ses confrères de la conférence des DG de CHU dans leur communiqué de mars 2021.
Encore une fois, les directions de soins sont attaquées et cela devient de la maltraitance répétée par certains, dont le DG de l’APHP dans ce communiqué. La dernière maltraitance en date est le poste de Directeur Central des soins de l’APHP, poste règlementaire qui était considéré́ comme honorifique pour les soignants et qui n’a jamais été renouvelé depuis des années et ce n’est pas faute de candidats. S’attaquer symboliquement à ce poste qui existe depuis plus de 50 ans, c’est priver les paramédicaux d’une promotion ultime, c’est mépriser les paramédicaux. Finalement, ce poste est devenu « Conseiller paramédical de la DRH ». Quelle belle concentration des pouvoirs autour de la DRH ! Et l’APHP, comme les établissements sanitaires et sociaux sur tout le territoire, déploie de nombreuses mesures propres à attirer les soignants dont la désaffection et la pénurie sont partout alarmantes... belle reconnaissance que de vouloir supprimer leur ultime promotion professionnelle et de mépriser leur hiérarchie, qui seule est capable de les mobiliser autour du sens de leurs missions ... On ne ferait pas mieux pour saboter la filière soignante et pour vider l’hôpital de ses professionnels. M. Hirsch réalise-t-il qu’il rame à contre-courant ? Et quand, dans son argumentaire, il érige le modèle de gouvernance autour d’un pilotage administrativo-médical s’appuyant sur les pays étrangers, il fait fausse route. Car, ce modèle est justement la mauvaise exception parisienne. Pour rappel, les postes de directeurs des soins existent dans le monde entier. Le premier a existé en Angleterre dès 1850 ! C’est dire ! Mais la France a toujours été frileuse pour reconnaitre les directeurs des soins comme de Hauts Fonctionnaires. Pourtant, c’était le vœu de Simone Veil en 1975 lorsqu’elle a créé́ ce poste ! Elle l’avait affirmé lors d’un congrès infirmier en 1974. Force est de constater que, 50 ans après, c’est loin d’être le cas !
M. Hirsch plaide pour reconnaitre un cadre spécifique de l’APHP. Celle-ci est un hôpital public qui porte une vision, sauf qu’elle est loin d’être le modèle de gestion à retenir car elle n’a rien à voir avec l’immense majorité des hôpitaux français où le directeur des soins a une place réelle dans l’équipe de direction en pilotage des projets de soins, des projets managériaux, de la politique interne de formation « avec », et non « à la place » des DRH, de la gestion des compétences et des projets professionnels des paramédicaux, de la coordination entre les pôles, de l’accompagnement des équipes dans les démarches qualité et sécurité des soins, de la coordination avec les instituts de formation et les ARS.
Pour beaucoup de DRH qui reconnaissent ne pas avoir le même métier que les directeurs des soins, ce dernier est un collègue précieux dont l’expertise est recherchée, notamment pour statuer sur les compétences spécifiques et les effectifs nécessaires aux organisations au regard des évolutions techniques et de la charge de travail. Le directeur des soins a une vision en faveur de la qualité́ et de la sécurité́ des soins aux usagers et en faveur des évolutions et de l’amélioration des conditions d’exercice des métiers paramédicaux.
Il est inutile de vouloir rajouter de la responsabilisation médicale : elle existe déjà̀ et les directeurs des soins des hôpitaux travaillent très bien avec la communauté médicale. Les cadres de santé, en binôme avec les chefs des services, sont engagés dans l’encadrement des équipes et des projets de service, avec l’appui du directeur de soins pour lequel le management des cadres de santé constitue son cœur de métier. Le directoire vient d’augmenter sa médicalisation avec 60 % de sièges pourvus par des médecins et un membre du personnel soignant vient d’être intégré́. Pas la peine d’en rajouter. Ainsi, la gouvernance hospitalière a été renouvelée de nombreuses fois ces dernières années. Il est grand temps d’arrêter de toujours vouloir réformer l’hôpital ! Et M. Hirsch ne propose finalement qu’une chose : le renforcement d’un pouvoir médical et administratif déjà̀ existant à l’hôpital plutôt qu’une dynamique hospitalière efficiente dans le respect de la filière du soin et paramédicale avec une direction des soins sur laquelle il aurait pu s’appuyer. Quel gâchis !
Or, ce dont il doit être question aujourd’hui c’est de la Santé des Français et du système sanitaire le plus propice à offrir une qualité́ des soins optimale et sécuritaire dans la justice et l’équité au travers de l’écoute de tous les professionnels de santé. Et de celui ou celle qui les représente le mieux et connait finement leur métier pour l’avoir exercé, connait le prendre soin du patient et connait l’engagement auprès de l’humain : le directeur ou la directrice des soins.
À bon entendeur, ...
Bruno Benque
Rédacteur en chef www.cadredesante.com
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