jeudi 29 février 2024, par
L’expertise est souvent définie comme le prolongement de la compétence. Mais selon certains auteurs, elle permet d’appréhender de façon synthétique une situation donnée et s’appuie sur l’expérience et l’intuition. Des sociologues ont défini les quatre axes pour définir l’action de l’expert au sein de l’organisation.
La littérature sociologique (Stampnitzky, 2013) qui est consacrée au concept d’« expertise » relève souvent l’importance des processus d’institutionnalisation comme producteurs de savoirs, notamment dans les différents champs, dont la santé.
L’expertise comme prolongement de la compétence
Dans son article « Expert, Etat et théorie des champs » l’auteur précise qu’au fil des années, l’expertise dans cette institutionnalisation a pris de l’ampleur. Il prend comme exemples les champs de la médecine, de la science, du droit, de l’économie et de la gestion. Les travaux consacrés à l’expertise et aux professions ont souvent présumé que la clé du pouvoir des experts se trouvait dans une structure professionnelle aux contours bien définis (Stampnitzky, 2013).
Dans le même cas de figure, Lucie Tanguy, dans son article « Le sociologue et l’expert » (1995), nous apprend que le concept d’expertise « désigne une pratique qui consiste à demander à une personne ou des personnes singulières d’examiner une situation qui fait problème, afin d’éclairer un débat, voire une orientation politique ». Certes, nous ne sommes plus dans le champ de la santé, mais nous pouvons néanmoins considérer la signification de cette approche. Elle démontre que l’expertise reste un domaine d’éclairage d’un fait par celui à qui l’on reconnaît des compétences. Il convient de rappeler que l’expertise dont il est question ici est une expertise clinique, diagnostique ou thérapeutique. Il s’agit en un mot de la connaissance et une bonne expérience du terrain.
Appréhender de façon synthétique une situation donnée
Nous avons pu observer que ce concept varie en fonction des auteurs et des courants de pensée. D’après les travaux de Resnick, (1984), l’expertise est considérée comme étant « le prolongement de la compétence ». D’après la même source, c’est Benner (1995) qui va adapter cette théorie aux soins infirmiers. Un professionnel qui est doté d’une expertise en soins « aurait engrangé suffisamment de situations pour les appréhender de façon synthétique, en avoir une reconnaissance intuitive, se centrer rapidement sur les aspects importants de la situation, sans formuler d’hypothèse non productive et prendre immédiatement des décisions adaptées, avec marges d’erreur infime ».
Dans le cas du professionnel infirmier, Patricia Benner (stade 5 du dernier niveau du modèle de Dreyfus qui comprend les différents stades de la compétence : novice, débutant, compétent, performant et expert) ajoute : « L’infirmière experte ne s’appuie plus sur un principe analytique pour passer du stade de la compréhension de la situation à l’acte approprié. L’experte qui a une énorme expérience comprend à présent de manière intuitive et appréhende directement le problème, sans se perdre dans un large éventail de solutions ou de diagnostics ». Cela montre bien que l’expérience est utile et nécessaire à l’expertise.
Pour ces auteurs, « l’expert fonctionne cognitivement sur un mode synthétique ». D’autres, comme Anne-Claire Macquet et Philippe Fleurance (2006), pensent que « l’expert apparaît comme une source d’information pour connaître les éléments constitutifs des modes d’adaptation efficaces et singuliers ».
Expérience et intuition
Un autre courant de pensée est basé sur la théorie d’Ericsson (1993). « L’expertise ne dépend pas tant de l’expérience en elle-même, que de l’effort permettant de dépasser les compétences acquises, pour aller au-delà ». En d’autres termes, « l’expert se nourrit d’un esprit critique et d’une motivation à l’origine de l’effort engagé, de façon à aller plus loin que la compétence », c’est « avoir des capacités à réaliser des performances exceptionnelles » dans un domaine identifié. « Souvent, l’experte pressent les problèmes et c’est à partir de ces indices peu révélateurs pour ses collègues moins expérimentés qu’elle note l’imminence d’une complication ». Du point de vue de la psychologie, nous pourrons dire que l’expert a une résolution des problèmes qui se rapporte à l’intuition.
Par ailleurs, ces auteurs pensent aussi que la compétence n’explique pas tout. Un expert doit surtout anticiper, avoir un esprit d’ouverture et doit formaliser des pratiques. « L’expertise est apparue comme une hyper adaptation à la tâche » (Macquet et Fleurance, 2006). Il a la responsabilité de promouvoir et d’accompagner le changement afin d’assurer le transfert des savoirs pour dynamiser et faire progresser son équipe.
Les quatre axes pour définir l’action de l’expert au sein de l’organisation
Nous pouvons ainsi définir l’expert selon les quatre axes qui déterminent son action au sein de l’organisation (Roy et Verne Rey, 2014). D’abord de « son pouvoir » : « donné par les « autres », il est reconnu en tant que sachant ». Ensuite, de « ses orientations » dans son action : « il est tourné vers le passé et le présent ». Il occupe bien la temporalité. Il « se réfère à ses expériences et connaissances techniques acquises » et accorde d’abord plus d’importance au « détail », à « la précision » et « privilégie le diagnostic de l’existant ». Puis, à « ce qu’il est ». L’expert doit avoir le sens d’une approche « relationnelle dans son domaine » pour faciliter la communication dans son entourage. Enfin, il se caractérise par « ce qu’il fait ». L’expert conseille, « donne son avis » et « agit dans le cadre » réglementaire. Son éclairage apporte une aide considérable dans la prise de décision tant au niveau de son périmètre qu’au niveau transversal.
On dira en conclusion que l’expertise soignante consiste à avoir une expérience, suffisamment longue dans la durée, qui justifie d’avoir une compétence spécifique dans le métier de soin au sens large. C’est en d’autres termes, témoigner d’un haut niveau de compétences techniques, en tenant compte de l’aspect social de la prise en charge du patient.
Paul Mekann Bouv-Hez
Docteur en Gestion et Management
paul.mekann-bouv-hez@orange.fr