mercredi 9 novembre 2022, par
Les qualités recherchées aujourd’hui chez les managers de Santé sont orientées vers l’ouverture, l’empathie voire la négociation avec l’équipe dont il a la charge, sans pour autant renier à sa posture d’autorité. Mais pourquoi certains d’entre eux font-ils encore figure d’autoritarisme et de dominance ? Un article élaboré pour la le web magazine « The Conversation » par Johan Lepage traite de ce sujet sous le prisme de la psychologie sociale. Dans un premier volet, il revient sur les différentes études menées pour identifier et mesurer l’autoritarisme, ainsi qu’en décrivant les traits de personnalité associés. Dans une seconde partie, nous verrons comment il est influencé par la génétique et l’environnement des individus.
Pourquoi certains individus adhèrent-ils plus fortement que d’autres aux formes d’organisation caractérisées par la hiérarchie, la dominance, et l’obéissance ?
La psychologie sociale traite cette question depuis plusieurs décennies. La recherche a notamment fait émerger le concept de « personnalité autoritaire ». De quoi s’agit-il exactement ?
Les sociétés humaines produisent des inégalités particulièrement marquées
Une conséquence de la sévérité du partage inéquitable des ressources et de l’oppression dans les sociétés humaines est un niveau élevé de conflit entre des forces sociales qui accentuent la hiérarchie, comme le racisme ou le sexisme, et d’autres qui atténuent la hiérarchie, comme le socialisme ou le féminisme.
Selon le biologiste américain Robert Sapolsky, qui enseigne la neurologie à la prestigieuse université californienne de Stanford, rien dans la socialité animale n’implique une forme de domination aussi agressive que « l’invention humaine de la pauvreté ».
Pour les psychologues américains Jim Sidanius et Félicia Pratto, les hiérarchies sociales humaines s’organisent en trois principaux systèmes : le système d’âge (pouvoir disproportionné des adultes par rapport aux jeunes), le système de genre ou patriarchie (pouvoir disproportionné des individus de sexe masculin par rapport aux individus de sexe féminin), et le système de groupes arbitraires (groupes socialement construits sur la base de critères comme l’ethnie ou la classe sociale).
Ce dernier système, caractéristique des sociétés industrielles, se distingue notamment par le rôle important de l’agression dans le maintien de la domination. Mais dans ce contexte, tous les individus ne réagissent pas de la même façon.
L’autoritarisme, expression de la personnalité ?
La première recherche de référence sur la « personnalité autoritaire » a été publiée en 1950 par le philosophe et sociologue allemand Theodor Adorno et ses collaborateurs. L’enjeu est alors la compréhension de la montée du nazisme dans l’Allemagne des années 1930.
Selon les auteurs, ce fait ne saurait être expliqué par une seule discipline de recherche (psychologie clinique, sociologie, économie, etc.). Adorno fait l’hypothèse d’un « invariant » ne dépendant ni des individus ni du contexte : toute personne posséderait une « structure mentale stable potentiellement fasciste » (potentially fascistic). Cette structure serait particulièrement active en certaines circonstances chez certaines personnes, les principales conséquences sociales seraient l’antisémitisme, le conservatisme, et l’ethnocentrisme.
Adorno et ses collaborateurs ont réalisé plusieurs enquêtes comprenant des mesures quantitatives (échelles d’attitude, questionnaires) et qualitatives (entretiens, tests projectifs), et ont observé une relation entre différentes tendances : conformisme, soumission à l’autorité, hostilité, agression, superstition, rigidité mentale, attrait pour l’exercice du pouvoir, cynisme, croyance en un monde dangereux.
Les auteurs ont interprété cette relation comme l’expression d’une « personnalité autoritaire » que l’on pourrait mesurer avec leur « échelle F » (F pour fasciste). Adoptant une perspective psychanalytique, les auteurs ont proposé que la personnalité autoritaire soit l’expression d’une vulnérabilité émotionnelle héritée d’une éducation parentale punitive.
Depuis ces travaux, la notion d’autoritarisme a fait l’objet de raffinements théoriques et psychométriques importants.
Mesurer l’autoritarisme
Le psychologue américain Bob Altemeyer a développé dans les années 1980 la première mesure fiable de l’autoritarisme avec l’échelle d’autoritarisme de droite.
Cette notion comprend trois facettes fonctionnant ensemble : une adhésion rigide aux normes sociales, une grande importance attribuée à l’obéissance et au respect de l’autorité, et une attitude punitive à l’encontre des personnes s’écartant des normes sociales.
Les personnes autoritaires ont une sensibilité religieuse, traditionaliste et conservatrice. Elles valorisent le contrôle social et soutiennent le droit des autorités à utiliser la force contre les personnes dont le comportement constituerait une menace pour la sécurité et l’ordre ; elles ont davantage tendance à promouvoir l’utilisation de la violence par les institutions (par exemple, le recours à la peine de mort), par les forces de sécurité, et par des individus privés (lynchage notamment).
Dans les années 1990, Jim Sidanius et Felicia Pratto ont forgé un nouveau concept : l’orientation à la dominance sociale. Cette notion désigne une préférence générale pour des relations intergroupes inégalitaires. La recherche montre que ce trait est particulièrement saillant chez les membres des groupes dominants.
Les personnes à forte dominance sociale ont un faible souci pour l’équité et le bien-être d’autrui. Elles valorisent la compétition et soutiennent le droit de leur groupe à exercer une domination sur les autres groupes ; elles ont davantage tendance à prendre des décisions contraires à l’éthique, à enfreindre la loi, à utiliser l’intimidation, le harcèlement voire l’agression pour atteindre leurs objectifs.
Avec l’autoritarisme de droite, l’orientation à la dominance est le prédicteur le plus robuste d’un large ensemble de phénomènes politiques : racisme, sexisme, homophobie, persécution ethnique, conservatisme politique, soutien à la peine de mort, militarisme, nationalisme. Un aspect commun substantiel à ces deux attitudes autoritaires est l’agressivité contre les groupes subordonnés.
Traits de personnalité associés à l’autoritarisme
Les chercheurs en psychologie sociale ont tenté de déterminer si certains traits de personnalité peuvent prédisposer les individus à développer des attitudes autoritaires. Des travaux ont montré que l’autoritarisme de droite est associé à une faible ouverture cognitive et un caractère consciencieux. Les personnes cumulant ces traits tendent à être intolérantes à l’ambiguïté et l’incertitude, et fermées à la nouveauté.
L’autoritarisme de droite est également associé au dogmatisme. Une récente étude, publiée par l’équipe du neuroscientifique britannique Stephen Fleming, révèle que les personnes dogmatiques recherchent moins d’informations avant de prendre une décision – bien qu’elles ne soient pas plus confiantes dans sa justesse. Elles produisent ainsi plus d’erreurs. Les personnes dogmatiques sont moins sensibles à l’incertitude et se renseignent moins avant de prendre position, ce qui favorise le maintien rigide de croyances, indépendamment de leur exactitude.
L’orientation à la dominance sociale est quant à elle associée à un déficit d’empathie, comme le montre notamment une étude basée sur l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) publiée par Joan Chiao et ses collègues. L’IRMf permet d’enregistrer l’activité du cerveau pendant qu’une tâche est réalisée. Chez les participants ayant des scores élevés à l’échelle d’orientation à la dominance sociale, les chercheurs ont observé une réponse plus faible à la détresse d’autrui au niveau de régions cérébrales importantes pour l’empathie.
Cette attitude est également associée à des traits de personnalité antisociaux comme le narcissisme, la psychopathie et le machiavélisme. On observe chez les personnes cumulant ces traits une propension à la manipulation, une estime de soi très développée, un comportement impulsif, parfois agressif, voire violent.
Johan Lepage, Enseignant-chercheur en psychologie sociale, Université Grenoble Alpes (UGA)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.