lundi 18 août 2008, par
Si l’évaluation des risques professionnels, visant à protéger la santé physique des travailleurs, a bien avancé, concernant les risques psychiques, elle est plus lente. Cet article se veut être un outil pédagogique à la frontière du champ clinique et dans la lignée du conseil en ressources humaines. En effet, nous entrons dans l’aire du syndrome d’épuisement professionnel. Attendre trop longtemps avant de prendre soin de soi, donner sans se protéger ni s’aider ou encore ne pas apprendre à gérer le stress professionnel, génèrent une souffrance au travail là où nous pourrions tirer plus de plaisir.
Notre profession est accablée de maux vécus parfois comme difficiles à vivre, voire insurmontables. La pénurie chronique de soignants, les restrictions budgétaires, la mise en place de la qualité et des procédures d’accréditation... Toutes ces contraintes, il est vrai, découragent parfois les plus tenaces et optimistes.
Cependant, il est nécessaire de se poser la question suivante :
« Comment négocier les étapes prochaines ? »
Ne faudrait-il pas développer, avec la hiérarchie institutionnelle, avec les ressources des
établissements de santé, des capacités de communication, de relation d’aide ?
Le « savoir relationnel » est souvent mis en exergue comme composante essentielle du soin infirmier : la communication, la relation d’aide, l’écoute, la parole sont primordiales.
« Alors pourquoi ne pas appliquer cette « thérapeutique » éprouvée à notre corps professionnel ? »
Il est important, en tant que cadre de santé, de se rappeler que l’hôpital n’est pas une entreprise comme les autres. La dimension humaine y joue un rôle essentiel. Ne pas prendre en compte cette dimension et privilégier la seule logique comptable et organisationnelle, peut se révéler contre productif et nuire à l’organisation des services de soins ainsi qu’à leur mission auprès des usagers.
Nous ne devons pas occulter que les professionnels de santé, peuvent eux aussi indéniablement vivre difficilement la confrontation à des évènements pénibles. Ce sont des témoins comme les autres. S’ils sont certes formés et entrainés, leur qualité d’être humain ne les prive pas d’éprouver des émotions face à la souffrance et à l’horreur.
De plus, l’accumulation d’évènements particulièrement pénibles, au quotidien de leur profession, peut être également responsable de traumatismes psychiques. En effet, la réalité pour l’infirmier qui accompagne des sujets souffrants de dépendance psychique, c’est qu’il les accompagne vraiment. Ne serait-ce que partiellement dans ce cheminement jouxtant les portes de l’enfer, à l’intersection entre le néant et le monde des vivants. Le risque de s’y perdre ou d’y perdre pied est réel.
« Car lorsque tu regardes au fond de l’abysse, l’abysse aussi regarde au fond de toi »
(Niestzsche, 1969)
Néanmoins, il est extrêmement difficile, voire impossible, de prédire a priori qui, confronté à un évènement potentiellement stressant, développera ensuite des séquelles psychologiques. La question est donc de savoir s’il faut attendre l’installation et la « chronification » des troubles, ou s’il faut intervenir précocement, de manière proactive, quitte à se trouver face à un sujet en pleine santé.
D’ailleurs, Guedeney (1999) écrivait qu’il :
« Il est impossible de prédire avant coup si un individu sera ou non résiliant face à une situation. La résilience (dit-il) est en effet un processus complexe, un résultat, l’effet d’une interaction entre un individu et son environnement ». Et l’auteur ajoute :
« L’aspect clé, c’est bien la capacité d’être en relation avec l’autre : on n’est pas résiliant face à tout et n’importe quoi et on ne l’est en tout cas pas tout seul, sans être en relation »
C’est cette capacité à être en relation qu’il nous appartient de mobiliser avec le soignant, comme levier thérapeutique, lorsque nous allons vers lui au cours de son expérience professionnelle. Il peut aller mieux si l’on s’intéresse à lui et à ce qu’il vit au quotidien. Si le cadre de santé l’aide à mobiliser ses ressources propres, intra-psychiques, sociales et familiales.
Néanmoins, le cadre de santé, peu ou pas formé à cette gestion, doit parfois faire appel à d’autres ressources institutionnelles pour pallier la gestion de ces symptômes physiques et/ou psychologiques. Pour ce faire, il doit identifier les différentes instances auxquelles il peut se référer. Ces ressources légales ou institutionnelles serviront alors d’outils de gestion de l’anxiété, du stress et /ou du burn out dans cette fonction. De plus, il est important pour le cadre de santé de repérer, d’identifier et d’évaluer le stade d’évolution des symptômes. En effet, il servira de guide auprès de la personne en souffrance psychologique.
Les cadres de santé doivent donc connaitre toutes les ressources institutionnelles légales : la médecine du travail, le CHSCT, la formation continue, la pyramide hiérarchique... qui sont mis à leur disposition par l’institution.
Je me propose de vous présenter l’aboutissement de ma recherche, objet de mon mémoire de formation cadre de santé à l’IFCS d’Amiens : « Stress et traumatismes en institution, quelles réponses apporter ? ». Elle sera calquée sur le fonctionnement des Cellules d’Urgence Médico Psychologique. En effet, leur méthode d’actions (defusing, débriefing,...) est déjà utilisée dans les entreprises privées pour améliorer la prévention des risques physiques et psychologiques.
Si la RATP, la Poste, la Police Nationale, les Sapeurs Pompiers et autres grands groupes s’organisent, pourquoi pas l’hôpital ?
Dans un premier temps, la médecine préventive peut assurer ce suivi, mais l’idée d’un relais officiel capable de réagir immédiatement doit cheminer. Nous savons que plus l’anxiété, le stress et/ou le burn out s’installe dans la durée chez le sujet, plus il y a risque d’enkystement. L’hôpital public dispose à ce jour d’une ressource utilisant une technique qui a fait ses preuves.
Envisager de former les cadres de santé à cette technique pourrait être opportun et répondrait à leur demande de formation. Alors, ils seraient considérés en tant que nouvelle ressource de prévention des risques physiques et psychiques dans les hôpitaux publics. Mon idée est de donner aux cadres de proximité, aux cadres supérieurs, aux Directeurs des Soins, aux DRH la possibilité de recourir à ce modèle calqué sur les CUMP. Qu’une procédure, soit mise en place pour permette d’intervenir dans les cas d’urgence sur simple demande de la hiérarchie, voire implicitement dans une action quotidienne.
Tout ceci, m’amène à vous relater l’historique et le mode de fonctionnement des Cellules d’Urgence Médico Psychologiques.
La prise en charge d’un nombre important de victimes lors de situations d’exception (catastrophes naturelles ou accidents liés à l’intervention humaine) ou lors d’évènements comportant une forte valence sociale était relativement bien codifiée, lorsque l’on s’intéressait uniquement aux conséquences « physiologiques » : blessures physiques, risque vital. Les schémas types d’intervention sont inscrits dans tous les plans d’urgence : plan rouge, plan blanc... Ces différents plans laissaient cependant sans réponse claire les demandes pouvant émerger d’un grand nombre de victimes, non blessées dans leur chair : impliqués, témoins directs et indirects et au delà les familles de victimes.
La France s’est doté à l’échelon national d’un dispositif d’urgence médico psychologique officialisé par la circulaire ministérielle DH/EO4-DGS/SQ2 n° 97/383 du 28 mai 1997.
Petit historique, le 25 juillet 1995, un attentat terroriste à l’explosif perpétré dans une voiture du RER à la station de métro Saint Michel, faisait neuf morts et cent blessés somatiques. Ces derniers, certains rescapés indemnes, des témoins et même des sauveteurs ont présenté un choc émotionnel intense. Dès le lendemain de l’attentat, le Président de la République, Jacques CHIRAC, qui s’était rendu au chevet des blessés, constatait lui même l’importance de la souffrance psychique. Il confia alors au Docteur Xavier EMMANUELLI, Secrétaire d’État à l’Action Humanitaire d’Urgence, la mission de constituer une Cellule d’Urgence Médico Psychologique chargée d’assurer les premiers secours psychologiques aux victimes d’attentat, de catastrophe ou d’accident collectif.
Dès le 4 août 1995, la Cellule d’Urgence Médico Psychologique parisienne était constituée de professionnels reconnus pour leur compétence dans la psychiatrie de catastrophe.
Je vous propose de transférer leur mode d’action dans nos unités de soins, là où s’est produit un évènement traumatogène : confrontation à la mort.
Tout d’abord, l’entretien psychothérapique réalisé en urgence peut être effectué individuellement ou en petits groupes et constitue ce que l’on peut nommer un « décochage psychologique immédiat », le defusing des anglo-saxons.
Cette incitation à la verbalisation de l’expérience émotionnelle a pour but d’initier la maîtrise rétrospective des évènements et de leur vécu.
Puis, dans les deux à cinq jours qui vont suivre l’évènement traumatique, il est de plus en plus souvent proposé aux victimes un temps de rencontre, généralement collectif, basé sur l’échange de la parole.
Ce débriefing psychologique tel qu’il a été décrit et modélisé par J. Mitchell peut être défini comme : « Un bilan psychologique de l’évènement ». Il se déroule par groupes de cinq à dix personnes. Deux, voire trois professionnels formés à cette technique d’entretien dirigent cette réunion.
Ses objectifs sont multiples, il s’agit de resituer le sujet dans un temps un espace et des valeurs normales :
Chacun doit pouvoir raconter ce qu’il a vécu, reconstituer la réalité de l’évènement,
Chacun doit pouvoir verbaliser ses émotions et ce qu’il a imaginé, « fantasmé » lors du déroulement de la catastrophe.
La confrontation de son propre vécu et ressenti à celui des autres victimes amène à se reconsidérer comme normal. Ces réunions tendent à aplanir les éventuelles tensions de groupe et à atténuer les sentiments d’impuissance et de culpabilité. Elles renforcent également l’appartenance au groupe qui devient un allié et un soutien. L’effet immédiat de ce débriefing est généralement assez spectaculaire. La possibilité de dormir revient, le dialogue se noue avec l’entourage, le sentiment de tension intense s’estompe.
Pour les victimes qui le souhaitent un second débriefing peut être proposé quelques jours plus tard.
Ce travail collectif peut également se poursuivre par un entretien individuel, qui permet alors d’aborder des choses plus personnelles, des éléments de sa biographie et d’insérer l’évènement dans son histoire.
Néanmoins, il arrive que certains sujets soient durablement déstabilisés à la suite d’un évènement traumatique majeur. Certains symptômes peuvent s’installer sur un mode chronique, rarement d’emblée, mais plus sûrement après un temps de latence, de quelques semaines à quelques mois.
Ces troubles à plus long terme sont des états dépressifs, mais également un trouble anxieux invalidant, la névrose traumatique, le fameux état de stress post-traumatique des anglo-saxons.
La prise en charge de tels troubles est affaire de spécialiste. Elle s’avère souvent longue et complexe. Il semblerait cependant que la précocité de cette prise en charge évite l’installation durable et l’enkystement de certains symptômes.