mardi 5 février 2013, par
Jean-Marc Panfili, cadre supérieur de santé du Pôle de psychiatrie adulte, au centre hospitalier de Montauban, nous livre une analyse détaillée de la réalité des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques aujourd’hui . Pour lui, les restrictions exceptionnelles de libertés telles que la contention et l’isolement sont mal encadrées. Explications.
Isolement et contention : contraintes exceptionnelles
Les progrès scientifiques aidant - et en particulier l’arrivée des psychotropes - ont permis l’abandon de la camisole physique. Le placement libre est devenu la règle et le placement d’office l’exception ce qui a évidemment transformé les conditions d’hébergement. Cependant, les troubles mentaux peuvent toujours occasionner des périodes d’agitation. Certaines précautions dans la conception des lieux et dans l’utilisation des matériaux sont toujours nécessaires pour la prise en charge des pathologies mentales.
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) incite à décourager l’usage de la contrainte physique et de l’internement d’office dans les établissements de santé mentale. Pour l’organisation le manque de ressources ne peut constituer un justificatif pour l’organisation des soins avec contention. Le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants [1] appelle que la mise en chambre d’isolement et la contention (MCI) sont « des mesures extrêmes qui peuvent être prises afin de faire face à un risque imminent de blessures ou un état de violence aiguë. » Le Comité rappelle que chaque MCI et recours à la contention doit être prescrit par un médecin. Il faut « éviter que le personnel soignant ait une autorisation générale du médecin d’utiliser ces moyens en cas de nécessité. » Tous les autres moyens appropriés alternatifs doivent être tentés avant d’avoir recours à ces mesures. Le CPT recommande aux autorités françaises de veiller à ce que les protocoles de MCI et mise sous contention soient revus dans « […] tout autre établissement ou service de psychiatrie ayant recours à la MCI et à la contention mécanique. » A cette occasion, la révision des protocoles doit donner lieu à l’élaboration de consignes écrites sur la procédure à suivre, les fiches à remplir et les renseignements qui doivent y figurer.
Le CPT appelle les autorités françaises à mettre en œuvre sa recommandation ancienne, d’ailleurs commune à celle du Contrôleur des libertés, visant à ce que tout recours à l’isolement et à la contention mécanique soit consigné dans un registre spécial dans chaque service différent des dossiers. De plus, lorsque des moyens de « contention chimique » sont utilisés, ils doivent être assortis des mêmes exigences de traçabilité.
Cependant la contrainte peut parfois nécessiter des mesures particulières d’isolement et de contention. La restriction de liberté est alors différente selon que le patient peut aller et venir à sa guise au sein de l’unité ou s’il est placé en isolement. A fortiori la situation est d’autant plus délicate s’il fait l’objet d’une contention mécanique. Une Résolution de l’ONU de 1991 [2] prévoit que « La contrainte physique ou l’isolement d’office du patient ne doivent être utilisés que conformément aux méthodes officiellement approuvées du service de santé mentale, et uniquement si ce sont les seuls moyens de prévenir un dommage immédiat ou imminent au patient ou à autrui. Le recours à ces mesures ne doit durer que le temps strictement nécessaire à cet effet.
Toutes les mesures de contrainte physique ou d’isolement d’office, les raisons qui les motivent, leur nature et leur étendue, doivent être inscrites dans le dossier du patient. Tout patient soumis à la contrainte physique ou à l’isolement d’office doit bénéficier de conditions humaines et être soigné et régulièrement et étroitement surveillé par un personnel qualifié. Dans le cas d’un patient ayant un représentant personnel, celui-ci est avisé sans retard, le cas échéant, de toute mesure de contrainte physique ou d’isolement d’office. » Le Conseil de l’Europe [3] a édicté une Recommandation en 1994 précisant « Aucun moyen de contention mécanique ne doit être utilisé. Les moyens de contention chimique doivent être proportionnés au but recherché, et aucune atteinte irréversible ne doit être portée aux droits de procréation des individus. » Enfin la Circulaire Veil de 1993 [4] précise que le patient malade mental dispose de droits parmi lesquels « […] figure celui d’aller et venir librement à l’intérieur de l’établissement où ils sont soignés ; cette liberté fondamentale ne peut donc pas être remise en cause s’agissant de personnes qui ont elles-mêmes consenti à recevoir des soins psychiatriques. […] Toutefois en cas d’urgence, il peut être possible d’isoler pour des raisons tenant à sa sécurité un malade quelques heures en attendant, soit la résolution de la situation d’urgence, soit la transformation de son régime d’hospitalisation en un régime d’hospitalisation sous contrainte […] ».
Aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne [5] en Allemagne [6] au Canada, en Belgique, aux Pays-Bas et en Russie, ce sont des textes de lois précis qui encadrent l’utilisation de l’isolement et de la contention. En revanche, en France il est possible d’isoler et d’attacher un patient sans aucun contrôle, ni a priori, ni a posteriori. Pourtant, comme le proclame l’article 7 de la DDHC de 1789 « nul homme ne peut être accusé, arrêté, ni détenu que dans les cas déterminés par la loi et selon les formes qu’elle a prescrites. » Alors, toute mise en chambre d’isolement ou contention devrait donc être considérée comme illégale sauf à considérer que l’hospitalisation sous contrainte implique isolement et contention. Mais si la loi de 1838 puis celle de 1990 et enfin celle du 5 juillet 2011 ont prévu dans quelles conditions un patient souffrant de troubles mentaux devait être retenu contre sa volonté, aucune n’a prévu les conditions dans lesquelles ce même patient devait être isolé ou physiquement contenu.
… seulement encadrées par des recommandations
A ce jour, l’isolement fait l’objet de plusieurs recommandations de l’HAS [7] ponctuellement reprises par le Contrôleur des libertés, quant à la contention elle fait l’objet de recommandations mais seulement pour les personnes âgées [8]. La loi reste très évasive à ce sujet, elle indique seulement que « les restrictions à l’exercice de ses libertés individuelles doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées à son état mental et à la mise en œuvre du traitement requis » [9] et « Un protocole thérapeutique pratiqué en psychiatrie ne peut être mis en œuvre que dans le strict respect des règles déontologiques et éthiques en vigueur » [10]. A titre indicatif, le cahier des charges qualitatif de l’hospitalisation a plein temps en psychiatrie de mai 2003 constitue une contribution spécifique de référence des acteurs institutionnels de la psychiatrie. Les seules dispositions réglementaires existantes [11] se résument à « l’infirmier ou l’infirmière accomplit les actes et soins suivants : surveillance des personnes en chambre d’isolement. »
Selon l’ANAES/HAS [12], la contention consiste à restreindre ou maîtriser les mouvements d’un patient par un dispositif, soit fixé sur un lit ou un siège, soit mobile, comme une camisole de force. L’isolement est réalisé lorsque tout patient dans une chambre dont la porte est verrouillée est séparé de l’équipe de soins et des autres patients. et se trouve de ce fait en isolement. Lors de l’audit clinique de 1998, l’HAS constatait que l’isolement thérapeutique était absent des traités de psychiatrie tout comme de l’enseignement du Diplôme d’Études Supérieures (DES) de psychiatrie.
Cette thématique n’était pas plus abordée dans les Instituts de Formation en Soins Infirmiers (IFSI) et dans les Instituts de Formation de Cadres de Santé (IFCS). Il en est toujours ainsi aujourd’hui et la formation pratique est éventuellement assurée à l’intérieur des unités de soins. En définitive l’ANAES constate que l’isolement résulte d’une démarche empirique largement reconnue des professionnels mais qui ne trouve pas sa place dans les actes de soins permettant de mesurer l’activité d’un service de psychiatrie publique. L’ANAES rappelle que cet isolement ne peut être qu’à but thérapeutique conformément à la mission de soin des établissements de santé. La circulaire du 19 juillet 1993 rédigée par Simone Veil, ministre de la Santé est le seul texte émanant de l’exécutif et faisait suite à des événements tragiques dont ont été victimes des patients. Avec ce texte « on peut considérer que l’utilisation de l’isolement thérapeutique représente un processus de soin complexe justifié par une situation clinique initiale et se prolongeant jusqu’à l’obtention d’un résultat clinique. Cela comprend la prescription, l’accompagnement du patient, la délivrance de soins et la surveillance réalisés par les différents professionnels d’une équipe de soins. Les contre-indications ont été envisagées pour éliminer l’utilisation de l’isolement dans un but non thérapeutique et pour éliminer les affections organiques. Pour l’HAS, la nécessité de préciser que l’isolement ne doit pas être une punition est impérative car les comportements de certains patients peuvent conduire à des mesures punitives. La position de la Haute autorité de santé est cependant paradoxale à ce sujet car elle prévoit d’un côté des recommandations de bonnes pratiques en matière d’isolement sans toutefois les assortir d’un critère spécifique de contrôle dans le cadre de la certification. Il faut enfin souligner pour conclure, que contrairement à une première décision [13] le Conseil d’Etat a qualifié récemment les recommandations de l’HAS de règles juridiques permettant « […] d’assurer au patient des soins fondés sur les données acquises de la science, telles qu’elles ressortent notamment de ces recommandations de bonnes pratiques » devant « être regardées comme des décisions faisant grief susceptibles de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir » [14].
Un encadrement juridique insuffisant…
Au regard de l’article 34 de la Constitution disposant que « la loi fixe les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques » ces mesures graves de restrictions de liberté nécessiteraient des dispositions législatives bien plus précises et exigeantes. Par comparaison, en matière pénale la loi [15] prévoit que « […] les mesures de contraintes dont (la) personne peut faire l’objet sont prises sur décision ou sous le contrôle effectif de l’autorité judiciaire. Elles doivent de plus être strictement limitées aux nécessités de la procédure, proportionnées à la gravité […] et ne pas porter atteinte à la dignité de la personne. » A titre de comparaison, l’utilisation de menottes et entraves dans le cadre de la procédure pénale est précisément encadrée par la loi [16]. Le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) considère que « si exceptionnellement, des moyens de contention physique sont appliqués, ceux-ci doivent être ôtés dès que possible ; ils ne doivent jamais être appliqués, ni leur application être prolongée, à titre de sanction. » En résumé le législateur aurait dû définir les circonstances exceptionnelles dans lesquelles ces procédures sont autorisées dans le champ sanitaire et veiller à ce que la contrainte physique et l’internement d’office ne soient utilisés que comme des procédures de dernier recours. En particulier la législation devrait explicitement interdire l’usage de contrainte physique et d’isolement comme forme de punition. Enfin si l’utilisation de la contention et de l’isolement sont ponctuellement possibles dans le cadre de l’hospitalisation libre, il convient dans ces cas là de s’interroger sur la situation juridique du patient et de la rendre conforme à la situation au regard du principe de consentement.
…complété par la jurisprudence
Le juge administratif exerce un contrôle de proportionnalité du recours à la contention [17]. Suite à une décision de la CAA de Nantes, le non recours à la contention peut engager la responsabilité de l’établissement public de santé si ce traitement est seul à même d’assurer la protection du patient et des tiers [18]. Inversement, mais selon un raisonnement similaire, la CAA de Douai a, quant à elle, réservé la contention aux personnes présentant un risque majeur d’atteinte à leur personne ou à celle des autres [19]. Enfin, un arrêt de la CAA de Marseille très précis indique que la contention ne doit être utilisée qu’en dernier recours après avoir usé de la parole, utilisé la pharmacopée et enfin l’isolement [20].
Par contre, l’isolement ne fait pas l’objet de la même approche que la contention dont nous avons vu qu’elle faisait l’objet de jurisprudences. La mesure d’isolement relève du champ disciplinaire en droit pénal et pénitentiaire mais elle se rattache à une nécessité thérapeutique en droit de la santé mentale. Le juge judiciaire n’a pas condamné, jusqu’à ce jour, un établissement de santé qui placerait en isolement un patient, considérant que cette mesure portait atteinte aux libertés individuelles. C’est la logique de l’article 8 de l’ordonnance du 18 décembre 1839 portant règlement sur les établissements publics et privés consacrés aux aliénés qui prévaut. Celui-ci indiquait que « le service médical, en tout ce qui concerne le régime physique et moral, ainsi que la police médicale et personnelle des aliénés, est placé sous l’autorité du médecin, dans les limites du règlement de service intérieur. »
Nécessité d’un contrôle strict
Comme nous venons de le constater, les mesures d’isolement et de contention sont encadrées par les recommandations de l’HAS et du contrôleur des libertés. Toutefois elles ne font toujours pas l’objet de mesures législatives et réglementaires spécifiques. Le processus de certification des établissements et la pratique exigible prioritaire relative à la gestion des restrictions de libertés devraient donc jouer un rôle essentiel. Selon l’APM la montée des mesures de contention dans les services de psychiatrie représente une préoccupation pour les responsables qualité participants à la conférence-débat organisée le jeudi 8 décembre 2011 par leur association nationale (ANRQPsy) [21]. La certification a rendu incontournable le recrutement de qualiticiens et par voie de conséquence l’élaboration de procédures qualité. De plus une pratique exigible prioritaire (PEP) relative à la promotion du respect des libertés individuelles et à la gestion des mesures de restriction de liberté a été ajoutée au manuel de certification. Cependant lors de la conférence en question, Chantal Roussy présidente de l’Unafam 75, a souligné que si la sensibilisation sur les droits des patients avait considérablement évolué dans les établissements parce que les lois ont introduit des obligations, leur application reste encore trop aléatoire. Les représentantes des usagers ont notamment témoigné d’une montée des pratiques de contention dans les établissements, ce qui signe la nécessité de mieux encadrer ces pratiques. A ce propos, sous couvert de qualité, en rester au stade des recommandations et de l’audit clinique risque de pérenniser et de légitimer des pratiques sujettes à caution. Comme le préconisent certains professionnels, tout isolement devrait être dans un premier temps signalé systématiquement à la direction de l’établissement et dans un deuxième temps, soit à la Commission Départementale des Soins Psychiatriques, soit au juge judiciaire. La nécessité de concilier les nécessités thérapeutiques et le droit à la sûreté imposent des procédures et un contrôle spécifique. Ceci permettrait de s’assurer que seules les nécessités de prise en charge thérapeutique sont à l’origine de l’isolement et(ou) de la contention.
Jean Marc PANFILI
Cadre supérieur de santé
Spécialisé en droit de la santé. Médiateur non médical
Pôle de psychiatrie adulte, centre hospitalier de Montauban.
jm.panfili@ch-montauban.fr
[1] Conseil de l’Europe. Rapport au Gouvernement de la République française relatif à la visite effectuée en France par le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) du 28 novembre au 10 décembre 2010. paragraphe 172 et 174.
[2] Résolution 46/119 de L’ONU en 1991 principe 11.
[3] Recommandation 1235 du Conseil de l’Europe relative à la psychiatrie et aux droits de l’homme. Texte adopté par l’Assemblée le 12 avril 1994.
[4] Circulaire n° 48 DGS/SP3 du 19 juillet 1993 (Circulaire Veil) portant sur le rappel des principes relatifs à l’accueil et aux modalités de séjours des malades hospitalisés pour troubles mentaux.
[5] Acte de Santé mentale de 1983.
[6] Loi concernant les malades mentaux du 20 mars 1985.
[7] L’audit clinique appliqué à l’utilisation des chambres d’isolement en psychiatrie. ANAES / Service Évaluation en Établissements de Santé. juin 1998. « L’agitation en urgence », conférence de consensus, ANAES, décembre 2002. Liberté d’aller et venir dans les établissements sanitaires et médico-sociaux, et obligation de soins et de sécurité, conférence de consensus, ANAES et FHF, 24 et 25 novembre 2004.
[8] Limiter les risques de contention physique de la personne âgée, ANAES, octobre 2000.
[9] Art L 3211-3 du CSP.
[10] Art L.3211-4 du CSP.
[11] Art R.4311-6 du CSP.
[12] Audit clinique appliqué à l’utilisation des chambres d’isolement en psychiatrie. Évaluation des pratiques professionnelles dans les établissements de santé. Juin 1998.
[13] CE. 12 octobre 2009. N° 322784. Mentionné aux tables du recueil Lebon.
[14] CE. 27 avril 2011. N° 334396. Association pour une formation médicale. Publié au recueil Lebon.
[15] Art préliminaire du code de procédure pénale.
[16] Art 803 du code de procédure pénale.
[17] CAA de Bordeaux, 10 mars 2009, n°08BX00181. Mme Marie Thérèse X.
[18] CAA de Nantes, 25 janvier 1995, n°92NT00651.Mme Y.
[19] CAA de Douai, 13 juin 2006, Mme Y, n°05DA01282.
[20] CAA de Marseille, 25 janvier 2007, n°05MA01245.Mme X.
[21] Droits des patients en psychiatrie : la démarche qualité confrontée à la montée de la contention. (APM). Vendredi 9 décembre 2011.