jeudi 8 août 2019, par
Delphine Gardes s’est lancée, pour son travail de fin d’études de cadre de santé, dans une recherche sur le ressenti des soignants de la fonction publique hospitalière au sujet des services payants à l’hôpital. Elle met en évidence le conflit d’intérêt qu’ils peuvent ressentir dans leur quête d’équité et d’universalité. Mais ces services sont sans doute vecteurs de qualité de vie au travail.
L’hôpital public est en perpétuelle évolution et les attentes des usagers se sont modifiées au fil du temps. Ils sont devenus des « clients-consommateurs-patients » et des entreprises commerciales de services ont leur entrée dans cet univers.
Un travail de recherche sur le ressenti des soignants vis à vis de services payants à l’hôpital
Dans un contexte financier tendu, les directions des hôpitaux souhaitent répondre à un double enjeu : l’amélioration de la qualité du service client et la maîtrise du budget. Mais l’hôpital n’est pas une entreprise comme les autres, il réalise une mission de service public et porte des valeurs anciennes d’égalité, d’accès et de soins pour tous. Mon travail de fin d’études de cadre de santé s’attache à mieux comprendre les répercussions de l’arrivée des services payants à l’hôpital public, particulièrement sur les soignants et leurs valeurs professionnelles. Ces derniers se trouvent bousculés par l’arrivée d’une activité commerciale qui se rapproche de leur travail quotidien.
Des services payants qui vont à l’encontre des valeurs humanistes
L’enjeu financier prévaut sur les valeurs ! En effet, la rhétorique connue du déficit budgétaire a permis de justifier l’arrivée d’entreprises commerciales, au sein de l’hôpital public. La question du financement de l’hôpital public est en creux tout au long de ce travail. À l’hôpital, c’est une vision humaniste qui a conduit à l’amélioration de l’accueil, et cela passe également par l’architecture et la création de services de soins composés principalement de chambres seules. Aujourd’hui, en faire une valeur marchande est un réel renoncement à cette promesse humaniste. Les soignants en ont conscience. Pourtant, cette nouvelle entrée d’argent est une manne à laquelle il est difficile de renoncer pour les directions des hôpitaux. Le gain, sur un plan comptable, est indéniable à court terme. Happytal par exemple, qui est une entreprise commerciale proposant des services de conciergerie s’inspirant de l’hôtellerie et gère la location des chambres seules à l’hôpital public, permet d’augmenter les gains obtenus par la location des chambres seules.
Des soignants en porte à faux dans leur quête d’équité et d’universalité
La conciergerie trouve sa place quand elle fait de la vente de services de proximité, presse, repas, fleurs…Le point d’achoppement réside dans la facturation des chambres seules, majorées par des méthodes commerciales insistantes, sur une population affaiblie par la maladie et réclamant un environnement de soins de qualité. Les valeurs portées par les soignants sont liées au respect des intérêts du patient mais certains services de soins sont majoritairement composés de chambres individuelles. Les professionnels de santé détiennent cette information et ne doivent pas la communiquer aux patients au risque de ne plus pouvoir facturer la chambre seule. En effet aucun patient ne réservera de chambre individuelle, sachant qu’il n’existe pas d’alternative. Dans ce contexte l’attribution d’une chambre seule est inévitable, alors pourquoi payer un service qui est garanti gratuitement ?
Le conflit d’intérêts se dessine ainsi plus clairement. Comment des soignants porteurs des valeurs du service public ne peuvent-ils pas se retrouver en porte à faux dans cette situation ? Il devient difficile de tenir la promesse d’un service public fait d’équité́ et d’universalité. Où situer l’intérêt du patient quand le contexte financier impose une augmentation de sa participation financière ?
Des bénéfices sur le champ de la qualité de vie au travail ?
Si l’équilibre budgétaire prévaut sur les valeurs des soignants, ce n’est pas sans conséquences. Mais cela ne préoccupe ni les directions, ni les entreprises dont il est question. Les gains sont difficilement chiffrables, mais les indicateurs sur la qualité́ de vie au travail peuvent être des baromètres, bien qu’ils soient rarement utilisés dans les hôpitaux. Pour les soignants, facturer les chambres serait acceptable, dans le cas où cela relèverait de l’exigence d’un usager. Mais que faire pour les personnes en fin de vie, en grande souffrance ou encore des patients présentant un risque infectieux. Les soignants sont alors laissés seuls face à leurs questionnements. Cela provoque chez eux des tensions internes entre l’obligation économique et leurs obligations de loyauté́. Alors comment réagissent les soignants ?
Il est difficile d’adapter ses valeurs sans perdre le sens du travail réalisé. Afin de poursuivre leurs activités professionnelles, ils adoptent des stratégies d’évitement. L’analyse sociologique nous fait comprendre que cette stratégie a une fonction protectrice pour les acteurs. Elle a pour but de protéger l’estime de soi des soignants.
Lire le mémoire dans son intégralité.
Delphine Gardes
Cadre de santé
delphine.gardes@sfr.fr