mercredi 18 décembre 2019, par
La qualité de vie au travail des cadres de santé est une thématique très actuelle. Laurent Toson en a fait son sujet central de mémoire pour son cursus de sa formation de cadre de santé. Il nous livre ici les résultats de son enquête auprès des professionnels de terrain. Il aborde la question sur un versant résolument positif, ce qui tranche avec le sentiment ambiant...
Les professionnels de santé français sont en souffrance. De nombreux articles sont disponibles sur ce sujet. Pourtant, seule l’enquête du Pr Didier Truchot aborde la qualité de vie au travail des cadres de santé. Selon cette étude, datant de janvier 2018, « 23% des cadres de santé sont en épuisement émotionnel plusieurs fois par semaine ou tous les jours » (2018, p. 21).
Si elle a le mérite d’exister, elle aborde comme bon nombre, le versant négatif en invoquant les facteurs susceptibles de provoquer une dégradation de leur qualité de vie au travail des cadres. Pour rappel, le Pr Didier Truchot avait conclu que les cadres de santé pouvaient subir une détérioration de leur qualité de vie au travail pour les raisons suivantes :
- « La charge de travail sous plusieurs formes : la quantité de travail à réaliser qui amené à faire des heures supplémentaires ou à amener du travail chez soi, les tâches administratives qui phagocytent le temps, la pression du temps (le fait de travailler dans l’urgence et qui conduit à ne pas réaliser correctement ses tâches)
- L’obligation de devoir réaliser un travail morcelé : devoir jongler avec plusieurs tâches en même temps, être fréquemment interrompu ou dérangé.
- La solitude, le manque de reconnaissance et le manque de collégialité : le fait de ne pas être reconnu par sa hiérarchie pour le travail que l’on fait et de ne pas avoir de soutien, perception d’un manque de coordination entre les services, absence d’un véritable collectif de travail.
- Le rôle ambigu : la nécessité de devoir occuper des rôles incompatibles entre eux, d’avoir le sentiment d’avoir à répondre à des injonctions paradoxales, source de conflit psychologique dit conflit de rôle.
- Les relations conflictuelles avec les patients et éventuellement leur famille » (2018, pp.18,19,20, 21).
Cette année, pour mon travail de recherche lors de ma formation de cadre, j’ai décidé d’enquêter sur la qualité de vie au travail des cadres de santé en établissements publics de soins. Contrairement au Pr Didier Truchot, j’ai choisi d’aborder ce sujet sous l’angle opposé : le versant positif !
Pour cela j’ai interviewé huit cadres de santé en leur posant la question : Quels facteurs seraient susceptibles d’influencer favorablement votre qualité de vie au travail ? Voici des pistes de réflexion qui méritent d’être « creusées » par d’autres étudiants cadres en groupe de travail ou lors d’un autre mémoire : cet article invite à la (co)réflexion.
La réflexivité sociale est-elle vraiment LA piste de choix comme l’évoque le Pr Truchot ? A explorer...
J’ai besoin d’une équipe soudée, ancrée dans une bonne dynamique de travail
Les cadres interviewés évoquent la dynamique d’équipe au sein de leur service : ils seraient sensibles à la solidarité ambiante, aimeraient avoir une équipe soudée et apprécieraient quand celle-ci s’investit dans son travail. Ces derniers ne se sentiraient pas en mesure de travailler dans de bonnes conditions avec une équipe peu motivée. Comme pour l’entraîneur d’une équipe de rugby, le cadre doit faire respecter les règles du jeu. Pour tenir sur la longueur et avoir des résultats à la hauteur de son espérance, il aurait besoin que l’équipe donne le meilleur d’elle-même. La proximité avec les agents le rendrait sensible à l’énergie et la bonne volonté de l’équipe.
En groupe de travail : la réflexivité sociale...
Mes collègues cadres, qui travaillent là depuis longtemps, me donnent des conseils avisés, surtout dans les moments difficiles
Rien de plus appréciable que d’avoir des collègues que l’on peut appeler en cas de vicissitudes. Ces derniers briseraient le sentiment de solitude et apporteraient leur expertise issue de leur expérience. Un coup de pouce bien utile à la prise de poste, lorsque les novices, fraichement émoulus de l’école, sont lâchés dans le monde du travail. Une aide de terrain pour les faisant fonction, espèce hybride manquant de repères et d’outils, mis sur le chemin de la profession de cadre sans pourtant en être un. Les collègues cadres constitueraient également une ressource lors des rencontres cadres. Ce collectif, bien souvent mis en avant par ces professionnels, formerait un lieu de mise en commun de savoirs et de partage d’expérience sur des problématiques du quotidien.
En groupe de travail : le collectif cadres...
C’est important de savoir que ce que tu mets en place peut se construire, qu’il n’y a pas toujours des portes fermées par rapport à des choses que tu proposes
Les cadres mettent également en avant un management institutionnel qui saurait associer le souci du facteur humain avec l’enjeu de la performance de l’établissement : ils évoquent en l’occurrence la mise en place d’un accompagnement à la prise de poste. Ce dernier, formalisé, représenterait la garantie pour un nouveau professionnel d’être bien accueilli, de se sentir attendu et de disposer de tous les connaissances nécessaires pour bien prendre ses fonctions. Être bien accueilli, ce serait se sentir appartenir à un collectif soucieux de la démarche qualité de vie au travail et avoir peut-être ensuite envie de pérenniser une culture d’établissement attentive au rapport à l’Autre. L’institution pourrait aussi aider les cadres en les intégrant dans le pilotage du pôle et en restant à l’écoute des projets que proposent ces derniers. Au-delà de la nécessaire obligation de négocier, l’institution marquerait son soutien en tenant compte des bonnes idées et en investissant dans les nouvelles compétences des cadres qui obtiennent de plus en plus un cursus master 2.
En groupe de travail : l’entreprise libérée...
Rien de mieux qu’un lien de qualité avec la hiérarchie basée sur l’honnêteté, la confiance, la complicité
Les cadres de santé ont décrit lors des entretiens le management de la hiérarchie auquel ils aspirent, notamment celui de leur cadre supérieur : un management basé sur la franchise, la confiance, la cordialité voire de la complicité. Ces cadres voient régulièrement leur supérieur, partagent avec lui les évènements quotidiens et discutent des certitudes et incertitudes futures. Le cadre supérieur qui mettrait à l’aise le cadre de santé serait celui qui injecterait de l’huile dans les rouages, qui saurait être facilitateur tout en restant garant des exigences institutionnelles.
En groupe de travail : l’assertivité...
Ça a beau être dur, on a beau avoir du boulot, si entre nous on n’est pas un peu respectueux, sociables, c’est dur au travail
Les cadres aimeraient aussi que, d’une manière générale, les professionnels de santé qu’ils côtoient au sein de l’établissement fassent preuve de civisme et de respect. Il serait tellement plus agréable pour tout le monde d’avoir des agents qui sont courtois au téléphone et qui disent bonjour lorsqu’on les croise.
En groupe de travail : la philosophie humaniste...
Les médecins sont des personnes ressources quand il y a la volonté de travailler ensemble
Les cadres de santé interviewés parlent peu des relations avec les médecins mais restent conscients de la nécessité d’avoir avec eux des rapports professionnels de qualité. Il ne serait pas du tout dans leur intérêt et encore moins dans celui du patient de rentrer en guerre avec eux. Les médecins sont des partenaires de travail qui peuvent faire aboutir un projet, notamment par la puissance de leur corporation. Ils transmettraient également des informations sur le travail des agents, en particulier pour ceux qui exercent la nuit et que le cadre n’a pas l’occasion de voir.
En groupe de travail : l’autorité fonctionnelle...
Je sais que ce que je fais est important, je suis contente d’aller travailler
Ce serait parce les cadres auraient l’impression de faire un travail important et que ce dernier favoriserait leur épanouissement qu’ils trouveraient du sens à celui-ci. Les cadres sauraient que leur travail est utile : grâce à eux le service tourne et tous les jours des usagers bénéficient de soins de qualité et en toute sécurité. Les cadres sont proches des agents, participent aux staffs médicaux, connaissent parfaitement le projet de service. Les agents peuvent également venir les voir à tout moment pour changer le planning, poser des congés, échanger sur des rapports conflictuels avec un autre agent, soumettre leurs désirs de mobilité et de formation professionnelle. Les cadres de santé sont bien au cœur de l’activité humaine dans le service. En groupe de travail : le travail du cadre, un art ?...
Être reconnu dans ce que l’on fait, c’est quand même important
La reconnaissance professionnelle demeurerait une attente pour les cadres avec une rémunération financière à la hauteur de leur attente, mais surtout avec la reconnaissance de l’utilité de leur travail et la valorisation de leurs compétences. Les cadres ne se fixeraient pas la reconnaissance comme un but en soi, cependant ils souhaiteraient que leur travail soit reconnu par l’équipe, la hiérarchie, l’institution, les familles. Pour reconnaître le travail du cadre, il faudrait savoir ce qu’il fait et être en mesure de reconnaître un travail le plus souvent invisible.
En groupe de travail : l’invisibilité du travail du cadre...
Tant qu’on me laisse un espace de liberté, de fonctionnement, je fais face aux contraintes
Même si les cadres de santé appelaient de leurs vœux un accompagnement, ils aspireraient aussi à une autonomie dans leur travail, voire à la possibilité de faire preuve de créativité. Les cadres attendraient une marge de liberté laissée par l’institution et leur cadre supérieur : cette latitude décisionnelle consentie leur permettrait de s’adapter à des situations variées.
En groupe de travail : la latitude décisionnelle...
Il ne faut pas chercher à être le meilleur pour ne pas s’épuiser
Les cadres de santé réaliseraient qu’ils sont les acteurs de leur propre qualité de vie au travail grâce à leur organisation au travail, leur expérience, leur capacité d’adaptation, grâce également à leur positionnement et leurs qualités relationnelles. Savoir prendre le juste recul lors de leur exercice professionnel constituerait une qualité indispensable, pour éviter l’épuisement. L’acquisition d’expérience serait un atout pour aborder avec efficience des problématiques complexes.
En groupe de travail : les softs skills (proactivité)...
Quand je suis bien dans mon couple, cela me permet de venir travailler l’esprit tranquille
Les cadres mettent aussi en avant l’importance d’une vie extraprofessionnelle qui puisse être ressourçante à leurs yeux. Une famille qui comprendrait ce que fait le cadre de santé et les contraintes inhérentes au métier, serait un plus. Une vie de couple équilibrée améliorerait sa disponibilité professionnelle dans les murs de l’établissements. Un cadre de santé ouvert au monde et disposant d’activités récréatives à l’extérieur resterait un professionnel plus à même d’affronter des journées de travail qui peuvent être éprouvantes.
En groupe de travail : le présentéisme à la française...
Il faut que je puisse concilier vie privée et vie professionnelle : c’est un savant équilibre
La possibilité qu’ils auraient de concilier leur vie privée et professionnelle se révèlerait pour certains d’entre eux primordial. Or, accorder ces deux vies nécessite de ne pas être phagocyté par son travail et d’être en mesure de le quitter pour aller vivre autre chose à l’extérieur : cette harmonisation relèverait d’un savant mélange.
En groupe de travail : travailler pour vivre ou vivre pour travailler ?...
Si les hôpitaux avaient plus de moyens, ce serait royal !
Le contexte économique et politique aurait selon eux une influence importante sur leur qualité de vie au travail, actuellement, de manière plutôt défavorable. Les cadres de santé placeraient peu d’espoir dans les grands dirigeants : disposer de plus de moyens ne serait selon eux ni à l’ordre du jour ni à l’ordre des prochaines années.
En groupe de travail : l’approche normative et législative de la qualité de vie au travail...
La beauté des locaux, c’est plutôt agréable, ça participe à ma qualité de vie au travail.
Comme beaucoup d’entre nous, les cadres interviewés apprécieraient un environnement physique et matériel beau, fonctionnel et ergonomique. Avoir un fauteuil qui ne fait pas mal au dos, disposer d’une fenêtre qui donne sur l’extérieur, pouvoir installer les photos de ses enfants, caractériseraient autant d’éléments susceptibles d’améliorer la qualité de vie au travail des cadres de santé.
En groupe de travail : la psychologie environnementale...
En conclusion, les cadres de santé ont évoqué de nombreux facteurs susceptibles d’être favorables à leur qualité de vie au travail. Cependant, il n’y aurait pas de solutions prêtes à l’emploi pour améliorer celle-ci et même si la qualité de vie au travail concerne le collectif, elle relèverait également d’une logique très subjective.
Laurent Toson
Cadre de santé
Master 2 AMOS
Pour en savoir plus :
Toson L. (2019). La qualité de vie au travail des cadres de santé. Quand la qualité de vie au travail du cadre de santé permet de répondre aux exigences du métier. Mémoire cadre de santé promotion 2018- 2019.